Into the Wild ۞ Kyle

Kyle & Jade

Cette journée de vacances à Rio de Janeiro est sur le point de devenir celle dont je me souviendrai avant toutes les autres lorsque plus tard, chez moi, à Bristol, j'évoquerai avec des amis ce voyage mémorable, assise au coin du feu avec un chocolat chaud entre les mains. Pour le moment, je suis toute innocente. Encore pure. Mais cet état de plénitude ne va pas durer longtemps. Je suis loin de me douter qu'un périple des plus épiques m'attends. En cet instant précis, je suis plutôt du genre à me réjouir. Je vais passer l'après-midi avec Kyle, le fameux. Je lui ai envoyé un message hier pour lui proposer une virée en tête à tête. Où ? Je ne sais pas. Je suis galante, je lui ai proposé de choisir - en croisant les doigts (vainement, j'en ai bien peur) pour qu'il ne m'embarque pas dans une aventure dont je ne pourrais me sortir vivante.
Il est actuellement quinze heures. L'heure de notre rendez-vous au pied de l'hôtel. Je suis là, à l'attendre, avec mon petit sac à main de fille et mes spartiates plus que chères, des lunettes de soleil de marque, ainsi qu'un débardeur plein de couleurs. Hé ouais, on sort, mais jamais habillée comme une plouc. Je veux pas ressembler à ces meufs dégueulasses qui traînent dans les Favelas. Moi, j'suis une British. Je suis pas une pauvre. Bref.
Je regarde ma montre, commençant à m'impatienter. Kyle et sa ponctualité légendaire. Je m'appuie contre la belle statue de pierre se dressant à l'entrée de l'hôtel, réalisant que je ne suis peut-être pas encore prête à voir le petit bonhomme débarquer. Il doit encore être dans le mal, il se paye des gueules de bois tous les jours depuis qu'on est ici. C'est du genre à se coucher à onze heure pour se réveiller à dix-neuf. Une chose est sûre, c'est que je dois être quelqu'un de bien exceptionnel pour réussir à faire se lever un gars comme ça, rien que pour moi... Enfin ! Ne parlons pas trop vite. Il n'est pas encore là.

Jade, elle me dit, faut qu'on se voit, tu choisis ou où va et et tu ramènes ton cul, alors moi, qu’est-ce que j’fais, j'me force à brancher un réveil (pour 14h, bah quoi ?), je surmonte une putain de gueule de bois et j’ramène mon cul. Normal qu’elle demande mon cul, elle le kiffe. Tout le monde aime mon cul. J'ai le cul le plus parfaaaaait de la terre. Un cul bien ferme et tout, magnifique. Et j’sais qu’en secret, elle rêve de m’avoir dans son lit –normal, avec un cul pareil. Bref, donc j’me ramène, et c’est cool, il fait beau. Le ciel est bleu, le soleil brille, les oiseaux chantent. Ah non mais non, ça va pas être possible ça, vos gueules les piafs ! Avec le mal de crâne que j'ai, j'ai juste envie de leur lancer des pierres. Bon, je sors de ma chambre d'hôtel après avoir organiser une journée saut à l'élastique, à la dernière minute. Le pire dans tout ça ? Le gang des cheveux blancs veut s'incruster. Genre comme s'ils allaient sauter dans le vide sans perdre leur dentier ? Tel un babouin, mon fidèle bonnet kangourou sur le crâne, lunette de soleil orange flash -je m'étais résigné à me foutre un trait noir sous les yeux comme la marine de guerre-, appareil photo étanche dans une main, et pistolet à eau dans mon autre main. J'étais un homme refait. Je marchais limite au ralenti vers les escaliers de l'hôtel, donnant une vue magnifique sur l'une des plus belles du monde, à la recherche de Jade et de tout le groupe qui nous attendait près d'un van pour partir - van qui était déjà occupé par le gang des cheveux blancs. Je sautais dans le buisson le plus proche en atterrissant en mode grosse roulade, chemise de touriste sur le torse, et short de bain trop sexy sur les fesses (fallait bien que ça finisse à l'eau, non ?). Mes vans amortirent presque totalement ma chute et je souris fièrement en restant camouflé. Je fourre ensuite mon pistolet entre les feuilles pour tirer comme un malade pour arroser le crâne presque chauves de tout ces vieux. Ils allaient peut-être abandonner l'escapade avec chance. « Jaaaade ? Psssst. » La discrétion est sans doute ma principale qualité. Quand Jade m'a enfin repéré et lorsqu'elle tourne sa tête en direction du jet d'eau, je lui envoie de l'eau en pleine gueule alors qu'elle était en mode diva trop parfaite. « T'inquiète, j'ai pas pissé dedans, c'est que de l'eau ! » Et je sors de mon buisson sans m'arrêter de rigoler, pour la rejoindre et lui lécher la joue : marque d'affection, sisiii.

Kyle & Jade

Le temps passe. Toujours pas de Kyle à l'horizon. En revanche, depuis cinq petites minutes, une meute impressionnante de septuagénaires défile devant moi, passant les portes du grand hôtel avec leurs cartes, leurs appareils photo, leurs cannes, leurs bouteilles d'eau plein le sac et les quelques accompagnatrices supportant les moins mobiles d'entre eux. Certains galopent en tête de file, frais comme à cinquante ans et montrant du doigts toutes les merveilles de Rio, bavant devant la mer et jouissant devant le Christ Rédempteur. D'autres se plaignent de leur arthrose et de la montée des prix des couches pour adultes. Seigneur... Faites que je meurs avant que tout ça m'arrive... « Jaaaade ? Psssst. » Je tourne mollement la tête en direction du bruit, une expression hautaine affichée sur la face. Comme un chat qu'on voudrait punir pour tirer une gueule aussi malveillante, je me prends un jet d'eau froide en plein sur le visage. J'essaye vainement de me défendre en agitant les mains devant moi mais c'est trop tard. Trois mèches de cheveux mouillés pendouillent sur mes pommettes et mon maquillage a coulé. Super ! Une heure de pomponnage ce matin et voilà comment je me retrouve ! Je ressemble à un poulpe. Je vais étrangler quelqu'un... « T'inquiète, j'ai pas pissé dedans, c'est que de l'eau ! » Et aussi chiant que cet instant puisse être, une langue gluante et dégueulasse vient se coller sur ma joue.

Inspiration. Imaginez une prairie pleine de fleurs et de chants d'oiseaux. Votre esprit se ressource et votre corps se vide de toute l'énergie négative vous habitant. Bientôt, vous ne serez plus que l'âme, débarrassée de toute la colère qui vous accable.

La main fermement agrippée à mon sac à main et un sourire carnassier faussement réjoui affiché sur les lèvres, je plante mes yeux dans ceux de Kyle.
« Kyle ! » je lâche d'une voix qui se veut des plus accueillantes et chaleureuse du monde. J'avale ma salive, me forçant toujours à sourire de toutes mes dents, vous savez, comme lorsqu'on fait semblant d'être content de retrouver un ancien pote de lycée très collant à une réunion d'anciens élèves. D'une voix douce, je poursuis: « Kyle... Aurais-tu l'obligeance d'aller te faire enculer ? » Mon sourire demeure. Et connaissant Kyle, j’imagine que ce n’est pas fini. Il a sûrement du mettre le paquet pour me taquiner. A tous les coups, ce convoi de vieux boucs est pour nous. Je soupire et tourne les talons, me dirigeant à grand pas vers le bus dans lequel les croutons grimpent. Genre je boude. Mais une fois assise ça va passer. Je me trouve une place au fond du bus et l’attends, rectifiant à l’aide d’un miroir de poche tout ce qui ne va plus sur ma tête. Quand Kyle me rejoint, je lui fais une moue faussement boudeuse avant que mon visage ne s’éclaire un peu, plus sincèrement cette fois. « Alors, Owens, où est-ce que tu as décidé de m'emmener ?... »

Bon j'avoue, je kiffe grave le cul de Jade. Non j'rigole, j'l'ai juste soulé pour avoir la chance d'organiser cette sortie et qu'on retourne tout Rio seulement à deux. D'ailleurs, la mission "emmerdons le monde" commence fort. J'avais rejoins Jade, tout aussi crispée que la bande des cheveux blancs, alors que le groupe s'impatientait à nous attendre. Perso, je me demandais surtout qu'est-ce qu'ils allaient faire avec nous aujourd'hui, ils ont même pas le cœur accroché comme il faut et ils veulent faire du saut à l'élastique ? De toute façon, ce serait hors de question que je pose mes lèvres sur celles d'une vieille complètement desséchée si elle fait un arrêt cardiaque. Ce qui est drôle avec Jade, c'est que dans n'importe quelle situation, elle reste elle même. Comme par exemple quand je dépose ma langue sur sa joue ou que je viens de réduire à néant son pouponnage matinale qui dure une heure et demi. Du coup, elle me propose de me faire enculer. Charmant. « Si c'est toi, avec un gode-ceinture, je ne pourrais même pas refuser. » Jamais de la vie. Bon d'accord, Jade est vraiment canon et elle doit sans doute avoir la moitié des mecs de Bristol à ses pieds, mais je me ferais jamais enculer. Des fois, je me demande même comment j'ai pu devenir pote avec elle. C'est vrai quoi, elle doit être mon parfait opposé. Elle a des manières de bourges qui en agacent plus d'un, elle passe trop de temps devant son miroir, elle est prête à tout pour arriver à ses fins. Mais pourtant, on s'est bien trouvé lorsqu'il s'agit d'emmerder le monde. Et sans m'en rendre compte, on s'est tellement rapproché qu'on a fini par traîner ensemble, dans la même bande. Bref, j'étais tellement excité de passer un moment avec elle que j'aurais pu improviser une petite séance de roulés boulés sur elle mais je pense pas qu'elle aurait apprécié le contact avec le sol, et puis ses fringues doivent valoir une fortune. J'avais donc le choix entre m'abstenir ou bien me faire détester à vie par Jade. Pour l'instant, je choisis la première option parce qu'elle allait sûrement avoir la dose de blagues pourries pour la journée. Voir même de sa vie.

Rapidement, on s'installe à l'arrière du mini van en compagnie de mon acolyte et du reste des vieux qui ont décidé de participer à l'activité du siècle. Et comme Jade est en train d'essayer d'arranger tout ce qu'il ne va pas sur sa coiffure, j'lui fourre un bonnet de marsupilami sur la tête parce qu'elle est nu d'la tête sinon, et que c'est pas sérieux tout ça. La classe, on l'a ou on l'a pas. Fallait bien que je continue dans ma lancée. Au même moment, je sors de ma poche un minuscule pistolet à eau, les vieux commençaient à avoir des tâches aux endroits gênants et comme j'en ai rien à foutre d'eux et que j'suis pas du tout un gentleman, j'me prends un gros fou rire en glissant mon bras autour du cou de Jade pour l'attirer fort contre moi. Qui a dit qu'elle allait échapper à ma mission d'emmerder le monde ? « On part faire du saut à l'élastique ! Tiens, regarde, tu vois la petite montagne tout là-haut ? On va se jeter du haut des rochers ! Puis au pire, comme y'a l'océan en bas, on pourra retomber dans l'eau et nager si l'élastique craque. C'est quand même plus sécurisé, tu trouves pas ? » Ou comment être le mec le plus rassurant de la terre. Au moment où je lui explique le plan, je lui montre la trajectoire avec mon doigt à travers la vitre. « Alors, prête pour l'expérience de ta vie ? » Je souris en coin, comme un gros con avant de lui donner un coup de coude, me retenant d'exploser de rire. « Mais tu sais.. on peut toujours retourner à l'hôtel et trouver quelque chose d'autre à faire. Comme un plan à trois par exemple. Sans le gode-ceinture, hein. » Forcément, je tourne la tête de l'autre côté pour rigoler comme une hyène, dans le plus grande discrétion du monde.

Kyle & Jade

Kyle et son humour. « Si c'est toi, avec un gode-ceinture, je ne pourrais même pas refuser. » Mais quel crétin... Je lève les yeux au ciel, mais je ris intérieurement. Au fond, j'arrive quand même à prendre ce sous-entendu pour un compliment. Je le prends comme une remarque discrète sur le fait qu'il ne me dirait pas forcément non pour une petite partie de... Scrabble. C'est bon à savoir... Kyle, c'est un ami que j'ai depuis un bout maintenant. Jamais il ne s'est retrouvé dans mon lit. Parce que j'ai jamais essayé de l'y placer, en fait. Faudrait que je songe à y remédier. Même s'il a actuellement une copine -dont je me fiche totalement, pour être franche, c'est un garçon manqué qui ne m'arrive pas à la cheville-, je pense qu'il serait bon de franchir un certain cap avec lui. Nous sommes tous les deux des légendes à Bristol. Selon moi, notre amitié était inévitable même si nous avons des caractères relativement différents. Lui con comme ses pieds, moi d'une élégance à faire trembler miss monde, mais nous deux riches comme crésus. Parce que moi je ne traine pas avec des clochards, n'est-ce pas ? Cet argent nous a permis de nous retrouver souvent dans de jolies fêtes tous les deux et à partager les mêmes délires. Alors oui, Kyle est un ami. Un des rares qui comptent et qui ne souffriront sûrement pas de mon côté diabolique -à condition qu'ils se tiennent à carreaux.

Tandis que je me repeigne, Kyle gâche tout mon travail en me fourrant un bonnet de marsupilami sur la tête. Cool. Je lui lance un regard glacial avant de rire. Bon, allez, ça ne serait pas mon Kylou s'il ne faisait pas chier. Si je me vexe à chaque fois, je vais passer une mauvaise journée. Alors décidant de rentrer une bonne fois pour toute dans son délire -et aussi dans l'optique de faire chier des gens-, je laisse cette nouvelle couronne sur ma tête tandis que Kyle s'éclate avec son pistolet à eau. Et là, alors qu'il passe son bras autour de mon cou, je me surprends à sourire de toutes mes dents, avec un réel sentiment de joie. Même si Kyle m'emmerde, on s'éclate. Je pose une main sur son torse alors qu'il me sort : « On part faire du saut à l'élastique ! Tiens, regarde, tu vois la petite montagne tout là-haut ? On va se jeter du haut des rochers ! Puis au pire, comme y'a l'océan en bas, on pourra retomber dans l'eau et nager si l'élastique craque. C'est quand même plus sécurisé, tu trouves pas ? »

Mon visage s'est décomposé et je lance un regard des plus inquiets à Kyle, la bouche entre-ouverte. Non, sérieusement... On va vraiment le faire ? J'aimerais qu'il se foute de moi, mais venant de Kyle, ça va être difficile. J'aimerais pleurer. Mais mon honneur en prendrait un coup. Alors je me contente de secouer doucement la tête en suivant la trajectoire du doigt de Kyle qui me montre notre très proche saut de l'ange. « Alors, prête pour l'expérience de ta vie ? » Non non non non non. Et les yeux de Kyle disent : Si si si si si. « Mais tu sais.. on peut toujours retourner à l'hôtel et trouver quelque chose d'autre à faire. Comme un plan à trois par exemple. Sans le gode-ceinture, hein. » Je préfèrerais. Et Kyle rit. J'ai tellement les chocottes que je reste figée, incapable de dire quoi que ce soit. Dès lors que je sais que je vais sûrement me jeter dans le vide, le trajet semble s'accélérer d'un coup, comme si le bus était pressé qu'on arrive. D'un côté, retourner à l'hôtel signifie s'ennuyer. Avoir ma soeur sur le dos accessoirement... Donc autant y aller. Je me sauverai en courant quand mon tour viendra, rien à faire !

Le bus arrive plus vite que prévu. Les vieux sont réjouis, s'apprêtant visiblement à aller visiter le temple du coin. Alors Kyle m'a menti, c'est ça ? L'espoir grimpe et doucement, je me lève de ma place, sortant discrètement crayon de mon sac à main. Face à Kyle, je me penche et lui trace rapidement deux traits horizontaux sur les joues. « T'es un combattant plus crédible, maintenant. » dis-je en souriant et en regardant son pistolet à eau. Sur ce je me dépêche de sortir du bus, prête à suivre les vieux dans la visite du temple mais un mec barbu et équipé comme un pro de la rando m'interpelle. Ça y est. Il me demande si c'est nous qui avons réservé pour le saut à l'élastique. Heu... « Ah non, non, moi je... J'observe le paysage ! »

Pendant le trajet, je colle un bonnet d’marsupilami sur la tête de Jade, et là elle réalie enfin. C’est pas n’importe quoi, aujourd’hui, c'est une mission les amis, on part en guerre, et voilà son casque qu'elle a sur la tête. Parce qu'honnêtement, on s'en sortira peut-être pas vivant. Intérieurement, je commence à remercier mes parents pour le physique de rêve que je dois assumer tout les jours, je les aime fort, Fizzy aussi d'ailleurs (une dernière baise, ça aurait été parfait pour des adieux), je remercie aussi tout mes potes, et même mes profs qui m'ont fait la misère au lycée. Bref, il m’manque juste la peinture de guerre, je commence donc à me dire que de la boue fera l’affaire mais Jade s'improvise rapidement Picasso avec son crayon. Hop, deux traits sur chaque joue, j’suis paré. « Si t'as peur, tu pourras toujours te réfugier dans mes bras. » Je commence à faire le con, imitant les héros dans les fils d'action. Vous savez, le mec super viril et courageux, celui avec le sourire colgate, celui qui les fait toutes craquer. Mais mon rire de gamin vient tout gâcher alors je perds toute crédibilité en moins de trente secondes.

Lorsqu'on arrive, je me rends bien compte que le gang des cheveux blancs n'étaient pas aussi courageux qu'ils le prétendaient, armés de leurs grosses chaussettes, de leurs sandalettes et du gros appareils photos qui leur pendaient au cou. En réalité, ils n'étaient que là pour la visite d'un temple. Du coup, il n'y a plus que Jade et moi pour la saut à l'élastique. Un mec équipé comme un pro vient nous chercher et j'attrape soudainement Jade en serrant mon bras autour de son cou, l'empêchant de s'enfuir, un sourire jusqu’aux oreilles. « Bien sûr que c'est nous ! » Le mec commence alors à nous réciter son speech habituel sur les règles de sécurité et part quelques minutes pour revenir avec le matériel nécessaire. Pendant ce temps qu'il prépare tout le nécessaire, je retourne Jade par les épaules pour lui faire face, et j’emprisonne son visage avec mes mains, la forçant à me regarder droit dans les yeux. J'essaye de prendre l'air le plus sérieux au monde et le voix d'un colonel de l'armée. « Soldat, regardez-moi dans les yeux. Nous ne sommes pas des couilles molles, d'accord ? Je répète : nous ne sommes pas des couilles molles. » Je tire soudainement sur ses deux lanières pour être sûre qu'elle soit bien accrochée puis je lui serre fort la main en m'approchant du bord de la falaise. Le vent y est plus frais, j'ai des frissons mais c'est la meilleure des sensations du monde. L'adrénaline ne fait que monter, j'ai l'impression d'avoir le souffle coupé lorsque je baisse la tête pour évaluer la distance qui nous sépare de l'eau de l'océan. Bon, comme je dis toujours : au pire des cas, je sais nager. Tout en gardant la main de Jade dans la mienne, j'écarte les bras pour me prendre pour le roi du monde et, en tournant ma tête vers elle, j'essaye de la rassurant en souriant. Sauf que c'est un sourire crispé donc elle doit penser que j'ai des gaz. « Je compte jusqu'à dix et on saute. » Grand moment de stress pour la Stephens, et moi je me mets à rire nerveusement. « 1... 2... 3... 4... » Et là, c'est la feinte du siècle, je ne compte pas du tout jusqu'à 10, comme prévu et je me jette dans le vide, l'entraînant avec moi dans ma chute. Les plus belles minutes de ma vie. C'est à ce moment que je regrette de ne pas avoir embarquer ma caméra. C'était un truc de malade, Jade hurlait et moi je rigolais un peu plus à chaque fois. L'élastique s'étend, nos têtes touchent un peu l'eau, on rebondit, on repart dans les airs. Puis on finit par nous récupérer et on regagne un passage pour pouvoir remonter sur le haut de la falaise. Je suis trop fier de Jade, c'est un peu comme mon poulain maintenant, donc j'improvise une danse rapidement du fessier, une danse de la victoire. Jusqu'à que je réalise que les vieux avaient disparus avec le van. Ils l'ont embarqué et ils nous ont oublié ! Ils se sont vengés, c'est la seule explication. Gros moment de silence quand on réalise qu'on a plus aucun moyen de transport. Puis soudainement, mon ventre gargouille. « Tu crois qu'on pourrait trouver un kebab dans le coin ? » C'est désert ici, merde.

Kyle & Jade

Fuir serait la seule solution. Parce que là, je ne vois pas d'autres issues. Mais décidément... Kyle s'approche, me chope en enroulant son bras autour de mon cou et s'exclame « Bien sûr que c'est nous ! », tout sourire. Moi, je perds l'équilibre à cause de son bras mais Kyle me maintient debout malgré moi - tout ce passe malgré moi, pour être honnête. Je ne peux m'empêcher de lâcher un couinement d'inquiétude, inquiétude que j'essaye tant bien que mal de dissimuler derrière un sourire crispé. C'est là que le gars commence son speech sur la sécurité. Je sais pas pourquoi, mais je me décompose littéralement sur place en entendant des termes professionnels du style "mousqueton", "marge de sécurité", "baudrier intégral", "en cas de complications ou de dommages corporels"... Je crois que je suis sur le point de pousser Kyle dans le vide quand l'animateur s'éclipse pour aller chercher le matériel. Heureusement, il revient avant que j'ai pu tenter quoi que ce soit. Pendant qu'il nous harnache, Kyle me sort, en me compressant les joues avec ses mains « Soldat, regardez-moi dans les yeux. Nous ne sommes pas des couilles molles, d'accord ? Je répète : nous ne sommes pas des couilles molles. » Je n'ai pas de couilles. Je répète : je n'ai pas de couilles. D'un coup, il tire sur mes deux lanières, m'arrachant un petit cri d'effroi que j'essaye de faire passer pour un petit rire en souriant, parce que j'ai peur qu'il me détache plus qu'il n'assure ma sécurité. On s'approche alors du bord. Je crois que je vais vomir. J'ai des sueurs froides, c'est la pire sensation du monde. Je jette un coup d'oeil paniqué vers le vide et je déglutis. Sérieusement... Est-ce que j'ai une tête à... « Je compte jusqu'à dix et on saute. » J'ai le temps de protester en dix secondes. En tout cas, il a l'air moins fier que tout à l'heure. Vu son sourire, on jurerait qu'il vient de se prendre comme un doigt dans le cul... Bref. Tiens, d'ailleurs, j'ai oublié d'enlever mon portable de ma poche. Oh non. Faut que je me rebelle. Je commence à bafouiller des excuses pour partir, pour qu'il me lâche la main, mais elle semble comme soudée à sa peau. Une fille romantique et fleur bleue complètement amoureuse de Kyle aurait adoré cette image de chair dans la chair. Moi, j'ai envie de me couper la main, quitte à souiller mon corps de déesse.
Et là, c'est le drame. Kyle compte jusqu'à 4 et je suis entrainée avec lui dans le vide. Je m'arrache les cordes vocales en poussant un cri à briser des doubles vitrages. Kyle rit à gorge déployée tandis que je m'acharne à battre des bras, regrettant de ne pas savoir voler. Quand l'élastique nous retient, je le sens tirer sur mes jambes. Et là, dans un suspend, le temps s'arrête, on a la tête en bas, on sent l'élastique qui nous retire vers le haut, et là... Un second drame. Je vois un petit truc s'échapper mollement de ma poche sans que je ne puisse rien faire. Mon téléphone tombe minablement dans le vide, semblant me faire un triste au revoir en me jetant un dernier regard, pendant que Kyle et moi sommes repartis vers le ciel. J'agite les bars en vain vers l'Océan pour le rattraper et je me mets à chouiner ma vie, avant de proférer de véritables menaces de mort à l'encontre de Kyle qui rit toujours. Durant le reste du saut où nous ferons littéralement du yoyo, j'essayerai en vain (aussi) de lui attraper le cou pour l'étrangler.
Finalement, on est ramenés sur la terre ferme. Je suis toute blanche. Kyle me fait la danse des fesses, que j'ai envie de lui arracher après ce qu'il m'a fait subir. Je suis loin de me douter que je ne suis qu'au début d'une série d'envies de meurtre... Le bus a disparu avec les vieux. Apparemment, la visite a été écourtée par un malaise dû à un coup de chaud par une mamie de 72 ans, d'après le mec qui nous a équipé. Et le gars qui repart pépère avec ses tongs en nous disant qu'il y a plus de bus avant demain...
Plus de téléphone, plus de bus, plus d'animateur... « Tu crois qu'on pourrait trouver un kebab dans le coin ? » lance celui qui m'a trainée jusqu'ici. Est-ce que je suis en droit de l'éclater, maintenant que nous sommes véritablement seuls ? « Kyle... » Je grogne en me tournant lentement vers lui. Qu'on se retrouve coincés ici par sa faute, ça passe encore. Il ne pouvait pas savoir qu'une petite vieille allait nous pourrir la soirée, et le fait qu'on soit tous les deux dans le même bateau atténue sa part de responsabilité dans la situation présente. Mais j'ai plus de téléphone. Et j'ai failli mourir. « Kyle...! » Je grogne avec plus de hargne. Dans un grondement rageur, je me précipite vers lui et lui frappe le torse avec mes petits poings, me déchainant littéralement. Sérieux, j'ai l'air d'une vraie sauvage avec ma coupe de cheveux qui ne tient plus en place ! Quand j'ai fini de me défouler, je le repousse en plaquant mes mains sur ce qui lui sert de pec' avant de pointer un doigt menaçant sous sont nez « Je te préviens, sale raclure humaine ! J'aurais ma revanche, et je te jure sur mes ongles qu'elle sera terrible ! » Sur ce, d'un geste vif, je retire mon doigt de sous ses narines en laissant mon regard glacial planté dans ses yeux. Il a intérêt à faire gaffe à ses couilles... Je sais qu'il le voit dans mon regard... Je fais ce petit mouvement de tête typique de la fille hautaine qui lâche un "pff" et tourne les talons pour aller m'asseoir comme une diva sur une pierre pleine de mousse verte à l'entrée du domaine du temple. Je fais mine de faire la gueule, les jambes et les bras croisés, scrutant un arbre dans une direction opposée à celle de l'insecte qui me fait office de pote. Quand il essaye de me parler, je fais style de pas entendre. Et je reste comme ça pendant trois ou quatre minutes - avant de me m'auto-lasser. « Alors, pour commencer... » Dis-je en bondissant sur mes pieds et en me rapprochant de lui à grands pas. « Je veux être en ville avant la nuit. Et quand on y sera, tu me payeras un kebab, capito ? Tu me dois au moins ça, puisqu'à cause de ton délire de suicidaire, j'ai plus de téléphone. »

patate sautée: