Je relis la lettre de Zya pour la millième fois. Les pages sont toutes chiffonnées, l'encre a déteindu par endroits à cause des larmes que j'ai versées (merci l'alcool et l'herbe qui rendent ultra sensible) et je relis encore et encore. C'est la seule chose qui me prouve que dans le fond, je n'avais peut-être pas tort, mais j'ai encore tellement de questions. Pourquoi? Pourquoi est-elle partie maintenant? Pourquoi m'a-t-elle laissée seule alors qu'elle savait très bien ce que je vivais? Pourquoi m'a-t-elle laissée avec autant de questions? Je m'endors dans mon lit, c'est rare ces temps-ci. Je préfère aller dormir chez des potes et faire la fête. N'importe quoi, tant que je ne pense pas à Zya. D'ailleurs, elle a quitté ma tête lorsque je suis avec Tempie. Je ne sais pas pourquoi. Lorsque je suis avec Tempie, je ne pense plus à Zya, je ne pense plus à tout le mal qu'elle m'a fait... inconsciemment. J'ignore combien de temps j'ai dormi, mais à mon réveil, il faisait noir à l'extérieur. Je me lève d'un bond et regarde mon portable. Putain. Elle m'a envoyé un sms. Zya. Je relis le message comme si ce n'était pas vrai. Je fini par répondre : "Désolé Bella, je m'étais endormi. J'arrive." Un sms un peu monotone, mais je ne peux pas lui laisser voir ma joie. Putain. J'ai le coeur qui s'emballe. Je vais à ma garde-robe et cherche une tenue, n'importe laquelle. Je fini par prendre un chandail à manches longues avec un capuchon, ma veste en jean, des jeans serrés des plus normaux et mes chaussures noires. J'ai pas envie d'être sur mon 31 de toute façon.

Je marche presque au pas de course vers le quai. J'ai envie de la voir. J'ai envie de savoir comment elle va, comment s'est passé ces semaines à l'extérieur de la ville, si elle tient toujours à moi, si elle a prit une décision... non, je ne veux pas savoir pour la décision. Elle va me mélanger encore plus. Non, je sais. Je vais jouer son jeu. Je vais porter un masque, un masque qu'elle ne connait pas. Elle a voulu jouer, hé bien moi aussi je peux jouer. De toute façon, elle aura probablement son masque à nouveau et franchement, j'en ai marre. J'arrive au quai et je la vois aussitôt, difficile de la manquer. Je marche plus lentement et lui fais un signe de la main. J'arrive près d'elle et prends quelques secondes pour la regarder.

Putain qu'elle est belle. Comment fait-elle? Je n'ose même pas la regarder dans les yeux. Je pose aussitôt mon regard sur les planches de bois mouillées du quai et grattant le derrière de ma tête. Dit quelque chose, s'il-te-plaît. Je ne sais pas quoi dire. Trop de choses se bousculent dans ma tête. Moi qui arrive à trouver les mots à toute situation, je me surprends à être complètement bouche bée. "Ça fait un bail..." J'essaie de lui sourire, mais là, tout de suite, j'ai seulement envie de rebrousser chemin. Je ne peux pas. Je croyais pouvoir lui pardonner aussitôt que je la verrais, mais non. Je n'y arrive pas. Il y a encore cette rancune au fond de moi et putain, ça me fait carrément chier. "Tu veux fumer un joint?"  Un mince sourire fait apparition sur mes lèvres, mais aussitôt que je croise son regard, il disparaît. Ne laisse rien paraître Lucky, joue son jeu.

J'ai cette boule au ventre qui me donne presque la nausée.  J'ai envie de dégobiller un bon coup pour sortir tout ce stress, mais je ne dois rien laisser paraître.  Je lui propose un joint, mais elle n'en veut pas... tant pis.  J'allume donc le joint et l'apporte à mes lèvres.  Ça va peut-être rendre la chose plus facile.  Je n'ose pas la regarder dans les yeux, si je fais ça, je vais craquer.  Elle apprécie que je sois venu?  Ça aurait plutôt été con de ne pas venir et profondément méchant, ce n'est pas mon genre.  "Comment tu vas?"  Je rigole un peu.  Oh ça va, t'es partie quelques temps, tu m'as fait un mal de chien alors j'me suis rapproché d'une amie d'enfance pour essayer de t'oublier.  Mais ouais ça va.  Je relève la tête et répond sèchement : "Ça va.  Toi?"  Je fuis encore son regard.  J'y arrive pas.  Je sais que je vais craquer si je continue, mais je ne peux pas laisser paraître une seule once de faiblesse.

"T'as reçu ma lettre?"  Direct là où ça fait mal.  Mes yeux se remplissent d'eau d'un coup alors je regarde par terre.  Putain.  Craque pas Lucky, t'es plus fort que ça.  J'essaie de penser à autre chose, n'importe quoi pourvu que je ne me rappelle pas les mots.  Je connais cette fichu lettre par coeur.  Je n'ai pas besoin qu'elle me rappelle qu'elle m'a fait un mal de chien qu'avec des mots écrit sur une feuille de papier.  "Encore une fois, je me suis défilée... J'ai préférée fuir les problèmes comme une vraie conne, je sais que je t'ai blessée et j'arrivais pas à m'imaginer te croiser tout les jours et que tu sois en colère contre moi, j'ai préférée partir... Puis, ça m'as permis de réfléchir et de constater que j'avais fait beaucoup de dégâts autour de moi."  Je me tapes une barre.  J'éclate de rire et je ne peux plus m'arrêter.  Beaucoup de dégâts?

"T'es sérieuse là?  C'est seulement maintenant que tu réalises que t'as fait beaucoup de dégâts?"  Je la fusille du regard, un mince sourire aux lèvres et elle ne me répond pas.  Elle ne sait probablement pas quoi me dire.  "Beaucoup de dégâts, c'est pas faire du mal au seul mec qui était prêt à tout pour toi.  Beaucoup de dégâts, c'est pas faire exprès de faire du mal aux autres ou se taper le frère d'un bon ami sans lui dire.  T'as pas fait beaucoup de dégâts Zya.  Pendant que moi, j'étais là, à attendre que tu fasses exploser ton putain de masque, tu prenais ton temps pour me démolir à petits feux.  Au moment où tu étais en train de me rendre dingue et que j'aurais pu faire n'importe quoi pour te faire sourire, t'as fichu le camp.  T'as fichu le camp comme une pauvre merde peureuse qui arrive pas à s'admettre à soi-même qu'elle agissait en putain de garce."  Je respire un bon coup.  J'en ai tellement à dire, tellement.  "Tu sais... pendant ton départ, j'ai revu une amie d'enfance et elle m'a fait réalisé pas mal de trucs, mais tu dois probablement le savoir, le barman a beaucoup fait parlé de lui.  Tout le temps que tu étais parti, je me battais contre ma tête... contre mon coeur en fait.  J'essayais de te sortir de là parce que dans le fond, t'es pas bonne pour moi, tu m'as seulement fait du mal alors que je m'ouvrais à toi comme je ne l'avais fait pour personne."  Mes yeux se remplissent d'eau, je tremble comme une feuille et je décide de prendre plusieurs touches.  Ma tête commence à planer.  "À vrai dire Zya, j'crois que t'as jamais porté de masque.  J'crois que ça a toujours été toi, la vraie, mais que j'étais trop stupide ou trop naïf pour le croire."

Je m'assois et fixe le vide.  J'ai vidé mon sac.  J'ai tout mit sur table et le pire, c'est que je ne me sens pas mieux.  Je n'ai pas l'impression que je vais mieux.  "Si tu veux que je retourne chez moi, hé bien t'as qu'à le dire ou tu peux venir prendre des touches de mon joint, j'pourrai jamais fumé tout ça sans avoir envie de me lancer dans le lac."  Une invitation à fumer qui est plutôt une invitation à la paix.  Pourquoi avec elle, peu importe ce qu'elle me fait, je reviens en rampant, en espérant qu'elle pardonne mes mots blessants?

Dans la vie, il y a ce genre de douleur qui semble impossible à effacer. Ce genre de douleur qui bloque toute parole, qui bloque toute réaction. Après un moment, cette douleur transforme n'importe qui en robot. Un robot sans sentiments. C'est comme ça que je me sens. J'ai pas envie de m'ouvrir à Zya, j'ai pas envie de m'ouvrir à nouveau et de me prendre un coup en pleine figure. Je la regarde et je la trouve toujours aussi belle, mais j'ai l'impression d'être forcé de garder une distance raisonnable. Je balance tout, tout ce que j'ai sur le coeur. J'ai balance tous mes sentiments, tout ce que j'ai vécu. À la fin, je ne me sens pas mieux. Elle pleure à chaudes larmes et j'ai envie de la prendre dans mes bras, de m'excuser, de lui demander de me pardonner, mais d'un autre côté, je me dis que je devrais la laisser souffrir un peu. Ce qu'elle ressent n'est même pas la moitié de ce que j'ai vécu.

Je lui offre de venir fumer le joint avec moi, une sorte d'appel pour qu'elle reste même si je lui en veux. "Si y'a quelqu'un qui devrait se lancer dans le lac, c'est moi..." Je la regarde rapidement, je n'ose pas trop la regarder longtemps parce que je sais que je ne pourrai pas garder mon masque, mon nouveau masque. Je joue avec un fil qui dépasse de mon jean alors que je dis dans un simple murmure : "Dis pas ça..." Un silence s'installe, un silence comme avant, un silence pourtant léger, sans pression. Ce genre de silence qui fait du bien après toute cette pression. Puis elle se tourne et me regarde. Putain qu'elle est belle. "T'es amoureux d'elle?" Mon coeur me lâche. Ultimatum interne. Si je dis oui, je la perds, je le sais. Si je dis non, ce serait mentir. J'ai quelque chose pour Tempie, mais est-ce de l'amour? Je ne crois pas. J'inspire un bon coup. "J'aimerais bien dire oui pour te faire du mal comme tu m'en as fait, mais ce serait mentir. J'peux pas dire que je l'aime comme j'peux pas dire que je l'aime pas. Je suis dans le juste milieu disons. Au stade où soit ça évolue soit ça plante, tu vois?" Elle m'écoute attentivement et je ne saurais dire si ce que je lui ai dis l'affecte ou non. "En même temps, se serait normal qu'elle soit tombée amoureuse de toi..." Je tourne la tête d'un coup pour la regarder, mais elle regarde le lac. Je voudrais poser des questions parce que franchement, c'est étrange qu'elle balance ça.

"C'est vrai, t'es le mec le plus drôle et attentionné que je connaisse, t'agis comme un véritable taré et tu t'assumes complètement, t'es toujours là pour les autres..." J'essaie de me retenir de rire alors qu'elle pose son regard sur moi. "Je sais que t'as rien à foutre de ce que j'ai à te dire, le mal est fait... Mais, je peux comprendre qu'elle soit tombée amoureuse de toi sincèrement." Je regarde le sol. Est-ce qu'elle est amoureuse de moi? Je ne saurais dire. Je ne sais même pas ce que je ressens présentement. Avant, tout était clair. Bella n'était plus là, elle n'était plus dans les parages pour semer la pagaille dans ma tête. Tempie était là comme le médicament dont on a besoin pour guérir. Elle m'a aidé à oublier et pourtant, elle ne faisait rien. "T'as raison, je suis pas bonne pour toi... Et tu mérites d'être heureux." Je repose mon regard sur elle et je sens les larmes monter. Pleure pas Lucky, pleure pas.

Je décide tout simplement de poser mon bras autour de ses épaules et de reprendre le joint afin d'en tirer quelques touches. Je fixe le lac, je ne sais pas quoi dire parce qu'elle a raison. Avec tout le mal qu'elle m'a fait, je ne devrais pas être là, à fumer un joint tranquillement sur un quai. Je souris légèrement en lui rendant le joint. "Je dois être maso alors, non? On se fait du mal comme un vieux couple marié, mais on reste là, tranquillos à fumer un joint en pleurant comme deux cons." J'essaie de me retenir de rire, mais j'y arrive pas. J'éclate d'un coup et me tourne d'un bond vers Bella. "Écoute... on fait tous des conneries. On a tous fait les cons, on a tous fait du mal à une personne. C'est pas parce que t'agis souvent en garce que ça fait de toi une mauvaise personne, tu vois? C'est qu'une erreur parmi tant d'autres!" Je prends sa main et dépose un léger baiser dessus en souriant. "Je te laisse deux choix. Soit tu pars et tu ne reviens plus. Soit tu restes et on recommence tout au début. Si tu choisis la deuxième option, je ne veux plus de ton masque, j'veux que tu sois toi-même. C'est quand t'as pas ton masque que je t'aime le plus. Tu deviens une personne extraordinaire. Je lâche ses mains, mais garde mon sourire. Je la supplie presque du regard de me répondre. Mes mains deviennent moites et j'ai l'impression que mon coeur va lâcher. S'il-te-plaît, ne m'abandonne pas.