Get lucky.

 

J'erre sur les rails abandonnés depuis plusieurs heures. On frôle les minuits, plus aucun train ne passe. L'arrivée des belles saisons me fit sortir de chez moi. Sucette à la coke en bouche, short en jean mal entretenus et tee-shirt noir qui a fait son temps, je n'étais pas vraiment apprêtée pour sortir ailleurs que dans les quartiers Est. J'avais prévu un paquet de clope qui contenait en plus des quelques cigarettes qu'il me restait, de quoi rouler deux ou trois joins. J'avais retrouvé la voie ferrée rapidement, je m'amusais à tenir en équilibre dessus, rejoignant peu à peu la gare du quartier. Elle n'était pas très bien entretenue. Un seul quai, un petit abri et un distributeur. Les murs étaient remplis de tags. Personne à l'horizon, même pas le dealer qui fréquente régulièrement ce lieu. Je m'assois sur le rebord du quai, faisant balancer mes jambes. Je commençai à me rouler un joins. Je jetais ma sucette une fois terminée et enchainais en m'allumant le joins. Après plusieurs minutes, j'attrape mon téléphone et fait défiler les contacts. Je déteste fumer toute seule. Je m'arrête instinctivement à Otto > envoyer un message. Si t'as pas la bouche pleine ramène toi à la gare. Il commence à faire froid et je me fais chier. Manière subtile de lui dire que j'avais bien plus qu'envie de simplement le voir. Je fixais l'ampoule qui ne fonctionnait qu'à moitié en attendant sa réponse. A cette heure-ci du week-end, je l'imaginais parfaitement bien déjà en compagnie d'une blonde aux seins refais. Sans vraiment comprendre pourquoi, ça me donnait une sensation de pincement au ventre.

ta place est
sur un trottoir.

les feuilles qu'on foule ; un train qui roule ; la vie s'écoule.

Milieu de la nuit. Elle ne s’arrête pas. Les mots sont vomis en flots de sa bouche de suceuse. Elle ne va jamais s’arrêter. Otto commence presque à s’inquiéter. Il l’imagine, les deux lèvres entrouvertes autour d’un sexe, toujours à tenter de baragouiner quelques sons. Pathétique. Otto ne prend pas vraiment la peine de l’écouter, il se contente de  d’acquiescer de temps en temps, le regard en biais plongé dans le décolleté bien fourni, il enchaine quelques verres d’alcool. Il a beau se dire que c’est pour baiser. Otto, il commence à en avoir marre. Surtout que la conne a une voix proprement insupportable, le genre un peu trop aigu pour vous vriller les tympans. Sa mâchoire se crispe et ses doigts se resserrent sur le verre. Il commence sérieusement à apprécier l’attrait des tueurs qui veulent étrangler leurs victimes dans les films. Il imagine bien la texture du cou sous ses doigts. La conne qui se débat pour un peu d’oxygène. Elle hoquète, cherche à crier, n’y parvient pas. Ses forces la quittent, il a de moins en moins de résistance sous ses doigts. Enfin, vient la paix éternelle, les mots resteront à tout jamais coincés dans la gorge, prisonniers éternels. Mais Otto n’en vient pas jusque là, malheureusement pour la ribambelle de pauvres hommes qui supporteront encore sa conversation pour espérer la lui mettre. Son portable vibre dans sa poche et il voit la parfaite opportunité de s’en sortir. C’est Siam. Le sourire s’allonge, lorsqu’il relève la tête vers la conne du soir. « Tu parles en suçant aussi ? » Otto ricane un coup et s’éclipse bien vite, avant qu’elle n’ait eu le temps de procéder le flux d’information pour réagir en lui jetant son verre à la gueule ou en lui foutant une claque. Il n’est pas con non plus. Il sort de l’établissement, pianote rapidement une réponse à Siam. Allez j’suis d’humeur généreuse, tu seras pas obligé de sauter sur le clochard du coin ce soir. Par une heureuse coïncidence, la gare n’est pas bien loin du club où il était, il entreprend donc le trajet à pieds, histoire de s’éclaircir un peu les idées et se fumer une clope. Otto ne prend pas la peine de la saluer, il se passe de politesse inutile, au point où il en est. « C’est un drôle d’endroit pour toi, dis moi. Pas beaucoup de queues pour t’asseoir. » Sourire sale. Il vient s’asseoir à côté d’elle et lui pique son joint entre les lèvres, comme un malpropre. « J’ai quelque chose de plus fort pour toi, dans ma poche, si t’as besoin. » Otto n’avait pas prévu de vendre ce soir et comme il n’est pas assez con pour consommer sa propre merde, il n’a qu’un petit sachet de coke en cas d’urgence, si jamais il tombe sur une camée en manque dont il pourrait profiter.

 

Je continuais de fumer tranquillement mon joint, souriant stupidement à la réponse d'Otto. J'ai pas le temps de m'impatienter qu'il est déjà là. Je le laisse parler sans broncher, habituée à ses éternelles piques. Je le laisse prendre son joint et le regarde tirer dessus avant de m'en allumer un autre « Tu peux le garder. J'ai aucune envie de chopper une connerie quelque conque que t'aurais chopé. ». Mensonge, mensonge. Je savais très bien comment cette soirée allait se terminer : comme toutes les autres avec Otto. A deux doigts de le supplier de me laisser le sucer. Je détestais la fille que j'étais avec lui. Je continuais à me torturer en le regardant s'assoir à côté de moi comme un indigène. Sans doute ma plus mauvaise fréquentation, j'en étais accros. J'essaie bien mal de le lui cacher, le garçon choppe le melon très vite. « Je serais toujours étonnée par ta rapidité à te rhabiller. ». Je le regarde tapoter sa poche, sous-entendu qu'il me trouvait pathétique, ça m'énervait au plus haut point. « Pour la dernière fois la poudre c'est pas ma came. Sauf si tu me fais un cake avec. ». Je plis mes jambes et me met en boule. Je regarde en face les peintures urbaines qui ont fait leur temps. « D'ailleurs tu me ferais pas un peu de pub ? Je suis en rade de thunes en ce moment. ». Je marque une légère pause avant de reprendre. « Ah oui excuse-moi. J'avais oublié qu'on ne pouvait rien attendre de toi. A part des coups de reins mollassons à souhait. ». Je le regarde en me demandant si quelque chose pouvait l'atteindre. J'expire un coup. Je ne parle plus. Je me tourne vers lui, déplies mes jambes et pose ma main sur son entrejambe. Sans un mot, mon regard foudroie le sien. Malsain, je le provoque en sachant pertinemment qu'il gagnerait une fois de plus à ce jeu. Mais avec lui j'ai toujours envie de perdre.

ta place est
sur un trottoir.

les feuilles qu'on foule ; un train qui roule ; la vie s'écoule.

Fumée au creux des lèvres. Les jambes qui balancent dans le vide, comme un grand insouciant. Sans doute qu’Otto peut le paraître souvent, toujours à prétendre vivre dans le moment. Il l’est pourtant bien moins qu’il ne le laisse paraître, il prend ses précautions, fait des études pour l’avenir, il sauve de l’argent dans la banque. Otto, il ne se défonce pas même à sa propre came, pas plus que quelques joints de temps en temps. Il connaît que trop bien certains effets pour les avoir observer de près sur ses clients. Siam s’est déjà allumé un autre joint. Plus besoin de rendre celui qu’il a emprunté, faut croire. Soi-disant qu’elle n’a pas envie d’attraper une merde en partageant un joint. Ironique. Haussement d’épaules, Otto ricane. « Voilà l’hôpital qui se fout de la charité. De toute façon, si j’avais vraiment chopé quelque chose, tu l’aurais déjà, poupée. » Sourire goguenard de sa part. Il réserve sûrement un peu trop de surnoms débiles de ce genre à son égard. Elle ne se rend sûrement même pas compte de son privilège. « Je serais toujours étonnée par ta rapidité à te rhabiller. » Hors de question qu’Otto n’avoue que la blondasse de la soirée l’avait tellement saoulé qu’il avait préféré l’abandonner pour venir la retrouver dans cette foutue gare. Ça lui montrait à la tête. Otto perdrait la main dans la partie et il est trop fier pour ça. « Merci, j’espère bientôt pouvoir atteindre ta vitesse de déshabillement. Un homme peut rêver, hein ? » Habituel échange de remarques acides. Les deux ne savent pas vraiment communiquer autrement de toute façon. Leur idée de dîner romantique, c’est de la baise sale et gratuite dans un quelconque lieu publique. Otto a quand même la décence de lui proposer le peu de came qu’il transporte dans la poche, même si comme elle le fait remarquer c’est pas vraiment son truc. Et après, on dit qu’il faut se montrer gentil et galant avec les filles. Foutaises. « Faut arrêter de t’prendre pour le centre du monde, j’vis pas en accordance avec tes préférences. J’en ai d’autres à combler. » Et peut-être qu’Otto est un peu trop fier de son petit jeu de mots, faut bien que quelqu’un reconnaisse ses talents. Siam et ses cakes, toute une histoire. Ils sont pas mauvais, c’est vrai, mais ça c’est une autre chose qu’Otto ne lui dira pas. Pourtant, il ne s’attend pas à ce qu’elle lui demande de lui faire de la pub, beaucoup plus à ce qu’elle le dénigre dans la phrase d’après. « J’ai l’air d’un mec qui propose des pâtisseries peut-être ? Ou assez débile pour faire la promo de la concurrence ? J’suis sûr que tu fais passer assez d’abrutis entre tes jambes pour leur faire passer le mot sans avoir besoin de moi. Et descends donc de tes grands chevaux, putain, arrête de croire que t’es mieux que moi. T’es tout aussi crade et tout aussi ignoble. » Otto s’est rapproché considérablement, empiétant sur son espace personnel, mais il n’y en a jamais vraiment eu entre eux, à vrai dire et ses doigts sont en train de remonter le long de sa cuisse. « Tu vois, c’est pour ça que ça continue encore, ce truc là entre nous, c’est pour ça que tu m’appelles ici, au milieu d’la nuit, pour baiser dans une putain de gare. N’essaie pas de nier, j’sais que t’en as envie. Dans la fosse, sur les rails même peut-être ? T’es autant une ordure que moi, Siam. »