SPEED DATING ✤ eddie & lucky.

Il faut croire que le casque planté sur ses oreilles est un bouclier anti-stress. Tempie est de celles qui s'affolent pour un rien, ou rient de tout. Rire de son pari ridicule; s'être retrouvée entre les mains crochues du barman de légende lui servant d'assurance vie qui à raison d'avoir quelques ragots à étaler le soir ne se dérangeait pas pour faire vivre l'enfer à ses petits cobayes. Le temps de la Saint-Valentin, bien sûr, il y avait des seuils à ne pas dépasser, mais être sous le joug d'un timbré comme le responsable de cette tuerie proche constamment suffisait à dire que la journée connaîtrait son lot de plotwist. Elle ne l'avait pas joué compliqué, dans sa phase cuir, Eddie s'était retrouvée dans ce pantalon moulant qui lui donnait des airs de statue grecque, puis en passant devant le miroir, elle avait pas pu s'empêcher de reluquer, bien entendu. Fallait que ça reste confortable, vu le lieu donné dans le mail de satan; à savoir ne pas se ramener sur place avec des talons, bordel. De toute manière, y avait que des baskets pour lui éviter de se ridiculiser sur le tard.

Mais apparemment, une fois devant la patinoire, à voir la tête blonde émerger sur la place, Eddie est pas franchement décidée sur son level de survie éventuel. Rodgers. AHAHAHAH. Bien joué. Très bien joué. Chapeau l'barman.

Tempie. Zya. Tempie. Zya. Tempie. Zya. Je tourne en rond dans ma chambre, gavé de rage. De rage? Non, plutôt de frustration. Pourquoi est-ce que Tempie me rentre en tête d'un coup et que la seconde suivante, Zya arrive en belle fleur pour tout gâcher. Je dois choisir. Je le sais. Je dois choisir entre les deux. Je ne veux pas faire de mal à personne, mais attends... Zya, elle a bien voulu coucher avec mon frère, m'embrasser et ne jamais m'avouer cette histoire. Et puis merde. Faut que j'arrête d'y penser. Après tout, c'est la Saint-Valentin, c'est le temps du speed dating organisé par le maire de la ville, même si nous savons tous que les duos ont été fait par le barman. Enfoiré de barman.

Je marche à l'extérieur, souffle un bon coup pour examiner la température. C'est simple : s'il y a de la vapeur, je rentre à l'intérieur prendre mon gros manteau, s'il n'y en a pas, bah on s'en fiche, on continue la vie comme elle était. Un petit nuage de vapeur fait apparition devant moi et je rentre à l'extérieur prendre mon gros manteau. J'arrive à la patinoire et ha. ha. J'ai envie de me taper une barre devant l'ironie de la situation. "Étrangement, je m'attendais à te voir ici Tempie. Joyeuse Saint-Valentin." Je lui lance un sourire amical, croisant son regard. Putain. Depuis la soirée, j'ai tout simplement envie de l'embrasser. Est-ce mal?

Je me dirige vers le mec qui donne des patins. J'ai beau réfléchir, son nom de métier ne me revient pas en tête. Je demande une paire pour moi et une paire pour Tempie que je lui tends aussitôt que je les reçois. "Je t'avertis, j'suis une vraie merde au patinage. Alors si tu te marres, je te jure que je vais faire l'imbécile jusqu'à ce que t'aies des envies suicidaires!" Même si je me retiens, j'éclate de rire en fuyant son regard. Faut pas que je la regarde parce que putain, elle a des yeux magnifiques. Je me dirige vers la patinoire et je reste planté là. J'ai pas trop envie d'y aller et de m'étaler de tout mon long par terre. Je reste planté dans l'entrée et je sais très bien que Tempie est derrière moi. "Pousse-moi pas sur la glace Tempie, s'te-plaît." Puis sans comprendre ce qui se passe, je me fais pousser et je tombe les deux pieds sur la glace, mais sans m'étaler comme je le croyais.

Y a quelque chose de louche, peu importe ce que se décide à faire ce barman, alors Eddie cherche plus et dresse un sourire tendre et imbécile, en réceptionnant l’accueil de Lucky, la tête secouant de son enthousiasme habituel ses boucles. “Dis donc tu es très intelligent, t’as trafiqué les emails pour les rendez-vous, j’imagine. Joyeuse Saint Valentin, Rodgers.” Elle utilisait ça, comme elle l’aurait fait avec Andy ou Nash, comme si elle était soudainement redevenue cette voisine, effacée, pas tellement intime, assez drôle à chaque visite pour se faire accepter, pas spécialement insistante et bien trop heureuse de vivre dans la connerie de son univers. Tout partait en vrille, c’était de l’auto-défense, c’était essayer de passer le temps, essayer de ralentir les décisions autant stupides que réfléchies. Il était doué pour la réveiller de sa penchante tordeur, la traînant jusque le terrain immense qui servait de lac gelé improvisé, avec leurs pancartes colorées partout de rose. Pour la Saint Valentin évidemment. “J’oublierai pas cette fois où tu t’es ramassé pendant une sortie au grand stade de Newcastle, t’inquiètes donc pas.”

Il a ses yeux rieurs, ses yeux tentés qui la prennent d’un retour critique, lui donnent envie de fuir dans l’autre direction, loin des tentatives folles qu’a tout son organisme à le trouver si bien près d’elle, en meilleure forme, au moins un peu heureux.
Attendant qu’il se décide, elle l’emporte dans sa prise d’élan, son talent pour le patinage toujours très cruel pour ses partenaires de sortie. Elle alla à reculons, alors qu’il se redressait, Eddie riant aux éclats, tant la sensation de proximité était satisfaisante. Elle retrouvait un peu de son quotidien, de son ordinaire, de leur ordinaire. “Attrape-moi si tu peux.”

Étrangement, j'étais presque plus heureux de voir Tempie qu'une autre personne. Faut mettre les pendules à l'heure. Reprendre là où on a laissé l'histoire. J'arrive pas à croire ce que j'ai fait à cette fête. C'était purement stupide et je sais que je n'aurais pas dû l'embrasser. Je n'aurais pas dû dépasser cette ligne, mais encore aujourd'hui, j'ai envie de l'embrasser. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas pourquoi ça a évolué aussi rapidement. C'est pas possible. J'suis un cas désespéré.

"Dis donc tu es très intelligent, t’as trafiqué les emails pour les rendez-vous, j’imagine. Joyeuse Saint Valentin, Rodgers." J'éclate de rire comme un imbécile. On voit bien qu'elle a oubliée qui fait quoi dans la famille. "C'est pas moi le geek dans la famille, c'est Nash. Je l'ai payé pour t'avoir que pour moi pour la Saint-Valentin. C'est pas chou, hein?" Je lui tire un énorme sourire qui a toujours eu pour effet de la faire rire à son tour. J'ignore ce que le barman veut faire, mais pour le moment, je lui suis reconnaissant. "J’oublierai pas cette fois où tu t’es ramassé pendant une sortie au grand stade de Newcastle, t’inquiètes donc pas." J'ouvre la bouche en grand. Putain, elle se rappelle de cette histoire. Je fous mes mains devant mon visage et je sens rapidement que je rougis. Comment elle fait pour avoir cette mémoire de ouf? "INTERDICTION DE SE RAPPELER DE CETTE HISTOIRE! JE DEVRAI TE BRÛLER SORCIÈRE!" Je gueule comme un malade en essayant de mettre mes patins. Juste cette étape me donne du fil à retordre.

Les patins finalement mit, je me mets devant l'entrée de la patinoire, mais je n'ose pas mettre les pieds sur la glace. Je sais que je suis nul et je sais qu'elle va en profiter pour rire de ma gueule... comme toujours. Puis Tempie me fout une poussée et je me ramasse aussitôt sur la patinoire, mais je ne tombe pas. Heureusement! J'ai l'air de Bambi qui veut faire ses premiers pas et puis là, il y a cette belle brune qui me gueule : "Attrape-moi si tu peux." Je lui fais un magnifique majeur en lui tirant la langue. Ne te laisse pas avoir Lucky, ne la rattrape pas... Puis merde, l'orgueil prend le dessus. Je m'élance du mieux que je le peux pour la rattraper, mais putain qu'elle est rapide. Je n'ai jamais patiné aussi rapidement puis sans comprendre, je me prends le pied quelque part et je me ramasse tête première sur la glace. Je reste couché là, je suis aussi bas que ma fierté. J'entends quelqu'un se rapprocher et je gueule du plus fort que je le peux : "Peu importe qui t'es, si tu ris de ma gueule, je t'assassine dans ton sommeil!"

Tâcher de pas y penser, aujourd'hui. Elle s'imaginait pas franchement entamer la sortie si facilement, elle pensait que ça la rendrait nerveuse, comme à son habitude, mais Rodgers autour, ça rendait l'histoire complexe sous un autre angle. Ed se dit que, la rapidité n'est pas maître mot entre Lucky et elle... de toutes les manières, il y a de quoi les faire patienter depuis un bout. Encore une fois ce n'est pas le moment de se torturer.

Entêté, constamment borné, ah il abandonnera donc pas, il a pas changé après tout. Sinon pourquoi finirait-il sur les fesses les trois quarts du temps ?
Les bras levés en l’air, elle capitule, s’éloigne du cercle risqué du Rodgers pris par les sentiments, un petit rictus pointant sur les lèvres. La vitesse est facile à prendre, aussi elle ne réalise pas de suite avoir perdu son adversaire, les voilà complètement gosses, des paires d’yeux occupées à les scrutés amusés, parce que la plupart se tiennent tranquillement  par la main. Et qu’on en rigole demain, tous les jours après de Lucky disparaissant de son cadre. Eddie se stoppe, d’un demi-tour bien contrôlé, le patin sifflant sur glace, il y a l’air qui remplit ses poumons de candeur, pendant qu’elle s’élance, s’arrêtant à son niveau. “Lucky Rodgers, mesdames et messieurs !” Elle a même sifflé les deux doigts dans le gosier, un fou rire la prenant malgré tous les efforts fournis jusque là. Y a des moments plus normaux, comme celui-ci. Ils ont la place, là, de tout voir, alors Tempie se recule, pour tendre les mains vers lui, un peu de compassion se dessinant au bord des joues. “Bon tu vas rester par terre ?”

Quand elle le relève, c’est pour le tirer doucement, en le guidant pour qu’il arrête de traîner comme un malheureux au milieu de cette foule décidément agitée. Eddie regarde en arrière, de temps en temps, s’assurant de buter dans personne, amusée par la situation. L'air moqueur, ses ovales le détaillent. “Rien de cassé ?”

Habituellement, je ne suis pas du genre à fêter la Saint-Valentin. Pour moi, c'est tout simplement une fête commerciale qui sert à rendre pauvre les mecs en couple, grosse fiesta quoi! Je décide tout de même de me rendre au lieu du rendez-vous, rien d'autre à faire en cette journée chiante et merdique... alors pourquoi ne pas tenter? Bien sûr, il fallait que je tombe sur Tempie après notre soirée étrange, mais pourquoi maintenant? Décidément, le barman a quelque chose contre les Rodgers. Ça doit être notre sens du style, ouaip. Un énorme sourire aux lèvres, je sais que je vais me planter en patins. Je n'ai jamais été doué et je ne le serai probablement jamais. Une peur de la glace et porter des patins, ce n'est pas un très bon mélange.

Bien sûr, premier essai sur la glace, première tête qui cogne dessus. J'ai à peine le temps d'avancer d'un demi-mètre que je suis déjà là, à contemplé la vue depuis le sol gelé avec tous les passants qui me regardent en riant. "Lucky Rodgers, mesdames et messieurs !" Bah ouais et il fallait que Tempie en rajoute. Je lui fais un majeur levé bien haut, mais je ne bouge pas. Non, je n'ai pas envie de me lever. Personne ne connait mon visage et maintenant, je serai réputé pour être le mec qui s'est planté pendant une "date" de la Saint-Valentin. Elle s'approche, j'entends ses patins, mais comme un gamin, je tourne ma tête dans le sens inverse et regarde partout en sifflant. "Bon tu vas rester par terre ?" Je retourne ma tête en souriant. "Bah tu sais... c'est plutôt confortable de la glace. En tout cas, c'est plus confortable après être tombé parce que franchement, sur le coup, ça fait un mal de chien." Je vois alors cette étincelle s'allumer dans ses yeux, cette étincelle qui me dit qu'encore aujourd'hui, j'arrive à trouver les bons mots pour la rendre de bonne humeur. Je décide de me relever. C'est bien beau avoir une tête de mule, il faut aussi comprendre que j'ai l'impression que ma joue va se souder avec la glace.

Je me relève péniblement, en tenant les mains de Tempie comme si ma vie en dépendait et je me sens comme Bambi. On glisse lentement sur la glace alors que j'essaie de comprendre comment ces machins fonctionnent, mais elle, elle fait ça comme une pro. C'est limite si je n'ai pas de l'admiration pour elle et ses talents. "Rien de cassé?" Je suis perdu dans mes pensées, en la regardant, en essayant de comprendre. Un mec qui me rentre dedans et qui me fait perdre l'équilibre sans que je tombe, me rappelle à l'ordre. "Je... heu... non, je crois pas." Je lâche la main de Tempie, essayant à petits pas de comprendre une fois de plus. J'avance lentement, maladroitement, mais je sens son oeil amusé sur moi. "Te moque pas de moi! Au moins j'essaie!" Je fais des plus grands pas, mais le même mec me rentre à nouveau dedans. Je tombe cul premier par terre en me cognant le crâne au sol. Je lâche un juron et me relève aussitôt pour aller sur le bord de la patinoire, loin de l'agitation. "Putain, il est con ce mec!"

Ah mais vous saviez pas ? Information pour vous, Monsieur le Barman. A Newcastle, Miss Tempie faisait de tous ses mercredis après-midi d’affreux et cruels matchs de hockey sur glace ! Et elle était très douée. Bon c’est aussi pour ça qu’elle avait une réputation bizarre en grandissant, mais Lucky passait au dessus alors c’était bien drôle. Eddie non plus elle aimait pas que sa mère accroche des cœurs en papier au dessus de son bureau, dans sa chambre et à la fac. Elle envoyait des photos pour les montrer toute fière et Eddie s’écrasait sur son matelas un sourire confus aux lèvres. On pouvait faire pire quatorze février cela dit. Elle voulait pas des chocolats en boîte vendus par lots de seize, elle voulait du temps pour voir Anouk ou de quoi oublier que le seul gars qu’elle peut impressionner en l’ignorant un jour pareil; c’est Lucky. Ils se le sont déjà dit que ça craint, ça craint fois trente six, ça vaut jamais le coup et puis ils sont tous puants d’amour…. RAAAH. C’est nul, ouais c’est le mot. Nul. “Je me moque pas Lucky.”

Sauf que voilà, aujourd’hui elle trouve pas ça nul du tout, elle a les bras derrière le dos, un petit rire au fond d’la gorge qui vient quand un trouduc lui rentre dedans, Lucky, elle tourne autour, comme pour le provoquer, et puis ça va dans tous les sens, elle a l’impression qu’il va passer la journée par terre. Elle va le regarder paniquer et s’agiter, poisson hors de l’eau, tenir ses mains qui vont finir par se blesser, bête comme il est. Non, non elle s’ennuie définitivement pas le moins du monde. C'que c’est fourbe. Eddie est occupée à secouer la tête, pendant qu’il s’plaint. Ah il se plaint tellement. Il est marrant, énervé, Lucky. On dirait le poulain qui sait pas encore se tenir droit, elle le cherche encore une fois Lucky, et quand il siffle un con de plus, elle fait un doigt audit con, elle se colle au bord d’la patinoire, histoire de l’voir ranger les griffes. Et puis elle l’embrasse, pour le distraire. “Oui il est con. T’as raison, il est con. T’as faim ? Tomber ça donne faim, Bambi.”