Avant que le jour se lève (Anouk)

samedi après-midi. il fait sombre. les yeux dans le vague, dans cette obsurité qui m'enferme, je ressasse mes maux, mes craintes et mes peurs. j'ai un peu mal au coeur, un peu mal à l'âme. je ne sais plus quoi faire, plus quoi penser. je pense à londres, je pense à ma mère et à son regard perdu, j'imagine qu'elle me cherche, qu'elle me pleure, moi, l'enfant lâche qui s'enfuit. je me demande ce que je fais là. qu'est-ce qu'elle fait là, loin de son monde, loin des gens qu'elle connaissait, loin de tout ça ? je ne sais pas. je me sens bête, idiote, mal. je me recroqueville sur moi-même, dans le noir de cette chambre aux draps souillés par mes pensées et de mon sommeil commateux.

personne n'est venue. je n'ai vu personne. mes yeux n'ont pas cherché une présence humaine. ils sont restés entre-ouverts à fixer le vide, inanimé. je n'ai pas cherché à manger,  même  pas à respirer. la machine au fond de moi était lamentablement éteinte. et moi-même, je ne comprenais pas pourquoi. soudain, trois coups sont donnés sur ma porte fermée. je peux entrer ? je ne dis rien, ma bouche est sèche, rien ne me vient. j'ai la gorge nouée. mes cheveux détachés couvrent la surface du coussin ou repose ma tête, comme un soleil dans le froid. ça ne me réchauffe pas. la poignée s'abaisse et rose rentre dans cette chambre, s'approche de moi silencieusement. elle s'assoit près de moi. hey, petit renard... je me décrispe légèrement. petit renard. tu vas pas passer la journée dans ce lit. je suis en train de finir tous les oreo, y en aura plus pour toi... mon visage se tourne vers elle alors qu'elle dégage une mèche de cheveux de mon visage. je soupire. rose ? pourquoi est-ce que je suis là ? je ne sais pas si j'ai l'air désespérée, mais je suis perdue. j'ai besoin de changer d'idées. je suis perdue... je comprends plus rien. j'ai l'impression de me noyer dans le vide. je la regarde dans les yeux, mon ventre se tord et gargouille. et puis j'ai faim. il reste des oreos ? j'esquisse un sourire. j'ai l'impression d'avoir à nouveau quatre ans.

Anouk ose tourner la tête vers moi. Je fixe ses yeux dans la pénombre. Elle soupire. « Rose ? Pourquoi est-ce que je suis là ? » Je pince les lèvres, légèrement décontenancée par cette question. Nouk a trop cogité...« Je suis perdue... Je comprends plus rien. J'ai l'impression de me noyer dans le vide. » Alors, elle me regarde. Je suis presque sûre de pouvoir le voir, ce vide dans lequel elle se noie. Faut y plonger une main pour pouvoir l'en tirer, parce que si elle sait pas faire la brasse, c'est mal parti. Flotter, ça ne s'apprend pas tout seul. Peut-être même que ça ne s'apprend pas, la gravité est vicieuse pour tout le monde. C'est une loi universelle. Mais en cet instant, il n'y a pas que l'univers d'Anouk qui est vide. Son ventre l'est aussi. Un gargouillis fait trembler le silence. « Et puis j'ai faim. Il reste des oreos ? » Tu m'étonnes que t'as faim. J'esquisse un léger sourire, immobile, sans rien répondre. Puis, dans un bon, je me rue en dehors de la chambre, dévale les escaliers et me précipite dans la cuisine, manquant au passage de faire tomber une chaise, un vase de ma grand-mère et un tableau assez particulier que j'ai peint l'été dernier. Brusquement, sans aucune délicatesse, j'ouvre le buffet pour empoigner les oreos et je me redirige vers les escaliers pour les remonter - c'est sportif. Je débarque à nouveau dans la chambre de Nouk et je me laisse tomber sur le lit à côté d'elle. « Cadeau. Rien que pour toi. » je déclare en lui collant les biscuits noirs fourrés de blanc sous le nez. « Tu peux manger dans le lit, on s'en fout de miettes. » Doucement, le me glisse sous la couette à côté d'elle et je cale ma tête sur une main, la regardant entamer les oreos. « T'es courageuse. Tu vas refaire surface. Tu verras. » Je marque une courte pause. « Puis t'es pas toute seule. Faut que tu saches que tu peux rester ici tant que tu veux... » J'aimerais qu'elle reste. Je veux pas la savoir perdue ailleurs qu'ici. Je préfère qu'elle soit paumée là que dans un endroit où elle risquerait de faire une connerie regrettable.

j'ai l'impression d'être dans un comas vivant. j'entend stout, je parle, mais je ne suis pas vraiment sur terre, complètement détachée d'une réalité. de la réalité. enfin, seul mon ventre l'est, car il réclame à manger. ce n'est pas dans mes habitudes de sauter un repas, mais là, je suis tellement dans le vague que je n'ai pensé à rien. je n'ai fait que me laisser porter par tout ce qu'y passait. le vent, le bruit, le vacarme dans mon crâne. ça m'a pris et j'ai pas su m'en défaire.

alors que je réclame à manger, rose, dans un élan presque sportif, sort de la chambre. je l'entends descendre, chercher quelque chose -sûrement ma requête- et remonter. en quelques secondes, elle est là, à me tendre le paquet de gâteaux sous le nez. un sourire amusé se dessine sur mon visage. cadeau. rien que pour toi. rien que pour moi. j'hésite légèrement pensant que manger dans un lit qui n'est même pas le sien, ce n'est même pas poli, mais elle me rassure. tu peux manger dans le lit, on s'en fout de miettes. je marmonne un merci presque inaudible et me met à grignoter, émergeant peu à peu de mon enfer bleu. elle se cale près de moi et je me rapproche d'elle, me raccrochant, comme à une bouée. t'es courageuse. tu vas refaire surface. tu verras. ses paroles me réconfortent mais je doute toujours de moi. est-ce vrai ? est-ce que je m'en sortirais ? je n'ai jamais eu de confiance en moi. jamais eu confiance en qui que ce soit, parce que des gens que j'ai rencontrés, ils n'ont jamais su être vrai. mais rose, c'est différent. rose me donne l'impression que je pourrais me noyer avec elle, tout ira toujours bien. puis t'es pas toute seule. faut que tu saches que tu peux rester ici tant que tu veux... je la regarde dans les yeux. vraiment ? j'avale de travers ma salive. j'ai tellement peur d'être à nouveau une erreur, un boulet.  je veux vraiment pas te gâcher la vie comme je l'ai fait aux autres je... je ne sais plus quoi dire. je veux pas rentrer chez moi, mais je veux pas t'embêter.

Elle me regarde dans les yeux « Vraiment ? » J'ai envie de hocher la tête mais elle poursuit : « Je veux vraiment pas te gâcher la vie comme je l'ai fait aux autres je... » Alors, au lieu de secouer la tête de haut en bas, je la secoue de droite à gauche. Non non non Nouk, que tu ne me gâche pas la vie. C'est pas vrai. « Je veux pas rentrer chez moi, mais je veux pas t'embêter. » Pour éviter qu'elle ne continue à déblatérer des âneries, je plaque ma main contre sa bouche et je la regarde en souriant. « Arrête de dire des bêtises. » Sans en rajouter davantage, je retire ma main et je repose ma tête sur l'oreiller. « Tu ne déranges personne ici. » Au contraire. C'est la famille qui s'agrandi un peu, le temps que Nouk décide de rester - et j'espère que ce temps sera long, puisque sa présence redonne un coup de vie à cette maison. Avec Jules, mon amie qui vit également sous mon toit, on forme une petite tribu de trois tignasses qui promets. L'idée fait sourire mon coeur.
Quand Anouk termine le dernier oreo, je jette un coup d'oeil vers les volets. La lumière du jour ne les transperce plus. La nuit est presque entièrement tombée. Une étrange atmosphère règne, ce soir là. Peut-être qu'elle est encore empreinte de la longue déprime du petit renard. Les soirs tristes font passer de mauvaises nuits. J'ai pas envie de passer une mauvaise nuit et je veux pas que Nouk ne ferme pas l'oeil. Faut lui changer les idées, sinon, demain sera encore plus noir. Faut que je lui montre que la vie ici c'est mieux qu'ailleurs. « Petit renard ? Ça te dit de sortir ce soir ? » Finalement, je me redresse et sors du lit, en me dirigeant vers l'armoire pour en tirer un pull et un jean que je balance sur le lit. « A vrai dire, c'était pas une question. C'était une annonce. Je vais t'emmener quelque part. » Je me dirige vers la porte, appuie sur l'interrupteur pour allumer la lumière dans la chambre, et j'ajoute dans un grand sourire : « T'as quinze minutes pour te préparer. Après, tu me rejoins en bas. Le reste, c'est la surprise... »
Nouk va passer la meilleure soirée de sa vie.
Je descends les escaliers et je prépare un rapide programme improvisé dans ma tête. Un ou deux coups de fils pour m'assurer que mes plans peuvent marcher et que la rave est bien dans la forêt, et le tour et joué. Plus qu'à attendre Nounouk.

alors que je lui dis ce qui me tourmente, me fait mal au cœur, me retourne littéralement, la jolie rose me plaque une main sur ma bouche pleines de miettes, ce qui m'étonne avant que je vois son sourire chaleureux. arrête de dire des bêtises. j'ai envie de lui dire que ce ne sont pas des bêtises. que durant toute ma vie, je n'ai été qu'inutilité, que vide, qu'une gamine qu'on ne voyait pas. dont on n'entendait ni le souffle ni les pensées. comme si un fantôme dans londres. je n'avais aucun chemin à prendre, aucune issue pour changer ça. enfin si. je l'ai crée. je suis partie de londres et je suis tombée sur elle. sans sa présence, j'aurais continué mon chemin jusqu'à m'effondrer, genoux bousillés. tu ne déranges personne ici. je ne dérange personne. pas croyable d'entendre ça. encore moins de voir que quelqu'un s'inquiète pour anouk. pour moi. savoir que quelqu'un se soucie pour mes lendemains me donne une sensation étrange et un sourire aux lèvres.

rose repose sa tête sur l'oreiller alors que je continue de grignoter les oréos. après quelques minutes, je plonge ma main et la boîte est vide. je soupire tandis que je vois que la jolie a le regard tourné vers les volets fermés. il n'y a plus une raie de lumière. la nuit l'a emporté. le soleil s'est rendu à la lune, pendant quelques heures, avant de retrouver son ami le ciel. alors que je suis égarée dans mes pensées, rose les interrompt. petit renard ? ça te dit de sortir ce soir ? sortir ? faire quoi ? je délaisse le paquet alors qu'elle se relève et ouvre l'armoire en grand, comme si elle lui tendait les bras. un jean et un pull vole. a vrai dire, c'était pas une question. c'était une annonce. je vais t'emmener quelque part. je la regarde d'un air interloqué. que veut-elle faire à cette heure là ? ses pas l'emmènent vers l'interrupteur et la lumière refait son apparition, ce qui me fait fermer les yeux. j'entends tout de même t'as quinze minutes pour te préparer. après, tu me rejoins en bas. le reste, c'est la surprise... et j'imagine son doux sourire sur son visage.

résignée face à la volontée de rose, j'enfile le pull et le jean, et me coiffe rapidement : un chignon suffira. un coup à la salle de bain et je suis prête. j'embarque mon paquet de clope au cas où et descends les escaliers, prête à voir la surprise de rose. je tente un maigre sourire. alors, tu m'emmènes où ce soir ?

J'ai moi-même rassemblé quelques affaires en attendant que Nouk se prépare. Un petit sac à dos aux allures péruviennes dans lequel j'ai fourré un biberon de malibu, de quoi rouler des clopes, de quoi faire quelques pétards, un gilet, et un tube de dentifrice - sait-on jamais. N'ayant rien de très passionnant à faire de plus, je vais m'affaler dans le canapé. « Alors, tu m'emmènes où ce soir ? » Demande soudain la voix de Petit Renard. Elle sourit, à l'entrée du salon, toute jolie avec son chignon et son pull. Je me lève, l'air faussement mystérieux et je m'avance vers elle en ondulant. « Surpriiiise, j'ai dit. Aie confiance... » Je susurre avec un accent qui ressemble vaguement à celui d'une perverse un peu frappée sur les bords. Je l'attrape par la manche. Direction la rue. Pas de voiture, juste nos pieds comme moyen de transport. « J'espère que tu n'as pas peur de marcher un peu. » Et nous marchons.
Je la traine d’abord à l’autre bout de Bristol, sur une place à la frontière de la ville. Nous tombons sur un certain Phill, un petit restaurateur ambulant qui a installé sa camionnette ici pour la soirée. Je lui achète deux bouteilles d’eau que je range dans mon sac et deux sandwichs. J’en colle un dans les mains d’Anouk avant de reprendre la route. Nous marchons encore. Les lumières de la ville n’éclairent plus notre chemin. A la place du ronronnement urbain, c’est la nature qui nous chante dans les oreilles. Durant le trajet, je ne garde pas ma langue dans ma poche. Je lui parle de ma rencontre avec Jules. Je lui raconte aussi que ma maison appartenait à ma grand-mère, que j’aimais beaucoup. Puis, je lui pose des questions, à Nouk. Qu'est-ce qu'elle aime dans la vie ? Qu'est-ce qui la fait rêver ? Où aimerait-elle voyager ?
Peu à peu, un battement lointain perce les bruits de la forêt. C'est le son de la rave. Nous avons marché presque deux heures, et il doit être un peu plus de minuit. Plus nous nous rapprochons, plus la musique s'intensifie. Des rayons de lumières traversent l'épais feuillage des arbres. J'accélère le pas, écartant les branches sur mon passage et entrainant Anouk dans mon sillage. « Tu entends, Nouk ? Tu entends ? Cette musique, ce rythme transcendant, c'est le chant de la jeunesse. » Bientôt, ma voix sera presque inaudible. J'aperçois déjà le mur d'enceintes qui crache tout ce qu'il a dans le ventre. Des silhouettes humaines indénombrables s'agitent devant sous ce son déchaîné, débridé. Mon coeur s'emballe. Mais malgré l'excitation, je dois tout de même rester prévenante. Veiller sur Anouk, dans un lieu où elle n'a jamais mis les pieds. « C'est ta première fois, hein ? Ne t'éloigne pas trop de moi, ce soir. Et n'accepte rien à avaler, pas même à boire. Si t'as soif, j'ai des bouteilles d'eau. » Sur ce, je lui fais un clin d'oeil. À nous l'éclate, à présent ! Je file avec elle au milieu de tous ces gens qui trépignent. Et je me mets à danser. Une danse digne d'un exorcisme.