hey, you + jules&louis

hey, you.

J'avais passé la soirée dans un bar, encore une fois. Pour tout dire, je ne savais plus tellement comment ça avait fini, mais je me souvenais d'une fille. Jules, il me semble. Elle était belle, vraiment. On avait dû parler de tatouages, un peu, elle avait sûrement vu les miens et c'était parti de ça. Ouais, ça y est, je me souviens. Elle en voulait un , mais c'est cher, et elle n'avait jamais eu l'occasion de se le faire faire. Bien sûr, je lui avait proposé, mais elle avait passé le reste de la soirée avec ses amis, et j'avais pas eu envie de la coller. J'avais quand même pu lui glisser mon numéro dans la poche, et ça s'était terminé comme ça. Elle était magnifique, et puis, super sympa quoi. J'espérais vraiment la revoir, bientôt.

Il devait être aux environs de seize heures, quand quelqu'un toqua à la porte. J'étais en train de finir une toile, enfin, je rajustais certains détails, un joint de la taille d'un cornet de glace à la bouche. Mes yeux étaient totalement explosés, et toute la pièce tournait autour de moi. C'était sûrement dans ces moments là que j'étais le plus inspiré, et que je produisais mes meilleures toiles ; par là j'entends celles qui se vendent le mieux. Et là, je commençais à être satisfait. Il manquait encore des choses, certainement, mais la scène prenait forme petit à petit. J'avais encore besoin de travail, et de quelques joints.

Je me dirigeais alors vers la porte d'entrée et l'ouvrit, pour tomber nez-à-nez avec la fameuse Jules. J'ouvris de grands yeux et lui sourit.

- T'as trouvé où j'habitais ?

Je devais puer la beuh à des kilomètres, la musique résonnait à fond dans l'appartement, et c'était vraiment le bordel. J'avais laissé mon matériel à tatouage dehors, et j'avais oublié de le ranger lorsqu'une fille était venue chez moi quelques jours plus tôt. J'avais un peu honte, mais bon, elle avait quand même débarqué à l'improviste, et c'était pas tellement ma faute pour le coup.

hey, you.

Cette foutu soirée t'as hanté toute la journée. Pas seulement parce que t'as failli te faire violer par Kyle. Non ça, tu pourrais presque t'y habituer. C'est Louis, qu'a réussi à te marquer. Un dollar, quelques minutes de conversations, un numéro glisser dans ta poche, c'est tout ce qu'il lui a fallu. Maintenant, t'es là, devant chez lui. Ton cœur tambourine dans ta poitrine t'es presque sur que ça va alerter les voisins. Tu sonnes, ça lui prend dix plombes pour ouvrir. Le premier truc que tu remarques, ce sont ses pupilles. Dilatées au possible. Son sourire aussi, tu t'en méfies, peut-être parce que c'est pas ton genre à toi de sourire pour un rien. Une légère fumée s'échappe, t'as l'impression d'être dans du brouillard, ça te prend à la gorge. T'as pas l'habitude, tu tousses.

J'ai demandé à Noah.

Pas de vanne de merde. Pas d'explication à rallonge. Tu veux faire vite, t'as peur de changer d'avis. T'entres, tu laisses la musique te porter. Tes yeux se posent dans le vague, tu te rends compte que tu es entrain d'observer la toile. C'est beau, tu t'y perds un instant, t'oublies pourquoi tu es venu. Mais le froissement du papier que tu peux presque sentir dans ta poche à chaque pas. Celui avec cette inscription en hébreu que tu comptes faire graver sur ta peau. Te rappelles à l'ordre.

Tu te souviens quand on a parlé de tatouage ? J'ai enfin trouvé ce que je voulais.

Tu le laisses patienter, t'aimes bien faire attendre les gens. Surtout que t'hésites, l'état de la baraque, l'odeur de beuh, ça t'influence, ça te refroidit complètement. Ton cerveau marche à cent à l'heure. Il fait marche arrière, il court même et toi aussi. T'as maintenant les yeux rivés sur lui.

Maintenant, en te voyant complètement pété, je me dis que c'était pas forcément l'idée du siècle de venir ici.

hey, you.

Elle avait pas l'air à l'aise, Jules. Non, elle était même stressée, tendue. Rien à voir avec la fille de la veille au bar. Mais c'est vrai qu'un tatouage, ça peut être stressant, surtout quand c'est le premier. Elle était là, plantée dans l'encadrement de la porte, son regard fixé sur une toile. Je la sentais hésitante, comme si sa venue n'était pas pleinement désirée. Je soupirais et passais une main dans mes cheveux, essayant d'évacuer le parfum de drogue qui s'était imprégné dans mon esprit. La pièce tournait encore un peu, mais j'en avais l'habitude, et cette impression allait vite passer. Jules me sortit de ma rêverie en déclarant qu'elle avait enfin trouvé ce qu'il lui fallait.

Ouais ouais, je m'en rappelle. Tant mieux. Tu peux me montrer ça ?

Je restais un moment debout sans rien dire, encore perdu dans mes pensées. J'attrapais mon matériel, dégageais la table et le fauteuil d'un coup de bras, envoyant quelques objets au sol. Je soupirais à nouveau, et vérifiais que rien ne se soit cassé. Je revenais vers elle les mains dans les poches, souriant, mais sentant bien que son attitude n'était pas celle de quelqu'un de détendu. Mon sourire disparut, et je levais les yeux au ciel.

Jules, c'est mon métier, je sais ce que je fais. Et puis j'suis bien là, t'inquiète pas pour moi. Fais voir ce qu'il te faut. Tu veux boire un truc ?

Elle s'inquiétait. Mais après tout, c'était normal. Je me dirigeais vers la cuisine et attrapait une bière, attendant sa réponse pour savoir ce que je lui prenais.

Tu sais, si je te dis que je peux le faire, c'est que c'est vrai. J'déconne pas avec les tatouages, c'est pour toujours. Mais après, si c'est toi qui est pas sûre, rien ne t'empêche de changer d'avis.

J'avais dit ça avec un petit air de défi, tout en espérant qu'elle n'allait pas reculer. Je l'aimais bien, cette fille.

hey, you.

Tu l'écoutes, ça te calme, tu sais qu'il a raison. Après tout, si il en à la l'habitude, c'est lui qui gères. Tu déclinais sa proposition, préférant garder les idées claires. T'entres et tu fermes la porte derrière toi, c'est son regard et son sourire qui te défient qui te font relever la tête.

Je suis toujours là non ?

Tu lui répondis avec le même air de défis.  Et puis, si tu es venues c'est qu'une part de toi était sûr que c'était la bonne décision. Alors tu déplies le papier de la poche et tu lui tends. חופש, avec ces quatre lettres écrites dessus.

C'est de l'hébreu.

Que tu lui lances pour seul excuse. Si il veut vraiment savoir ce que ça signifie, il te le demandera. Tu t'avances jusqu'au fauteuil où tu t'assois. T'enlèves ta veste, tu le regardes du coin de l’œil avant d'enlever ton t-shirt aussi. T'étais pas comme toutes filles qui voulaient se le faire sur le poignet en mode "hey, regardez ce que j'ai fait. la classe hein ?" C'est pas juste des lettres noires gravés sur ta peau, c'est bien plus que ça. Tu lui montres d'un doigt, tes cotes, juste sous ta poitrine.

Tu peux me le faire ici ?

Mais ça n'as pas d'importance, ce sera là. Tu sors une clope de ta poche et tu l'allumes en continuant de le regarder. Après le joint qu'il avait fumé, il allait quand même pas me dire que j'avais pas le droit de m'allumer une clope.

Tu foires je te jure que tu le regretteras.  

hey, you.

Je la regardais avec amusement, un léger sourire flottant sur les lèvres. J'avais entre le pouce et l'index, un joint a moitié éteint. J'essayais de tirer dessus désespérément, puis l'abandonnais sur le bord du cendrier dans un grognement. Par terre, des bouteilles vides, des emballages de nourriture, de tout et n'importe quoi. Je poussais "discrètement" un tas d'ordures derrière moi et sourit à Jules, ayant un peu honte de l'état de l'appart à ce moment précis. Je me rendis compte alors que je n'avais sur moi qu'un jean, et je me retournais pour attraper le premier tee-shirt venu. Puis je me remettais face à Jules et l'écoutait attentivement, tandis qu'elle me montrait son tatouage. C'était joli, et ça ne prendrait pas plus d'une heure. Elle m'indiqua ses côtes et je grimaçais.

- C'est... Très beau. Qu'est-ce que ça veut dire ?

J'étais toujours curieux de connaître les significations des tatouages que je faisais. D'une part, je pouvais y ajouter quelques modifications selon le mot, l'émotion peut ressortir différemment, et c'est toujours intéressant. D'autre part, ça peut aussi me faire découvrir certaines choses sur mes clients... Et pour le coup, ça m'intéressait bien.

- Oui bien sûr. C'est pas le moins douloureux ici, et de loin.. Mais bon.

Je lui souriais tendrement, et lui présentait le canapé. Je préparais mon matériel et la laissait s'allonger. Je m'installais tranquillement, le bout de papier dans la main. Je l'observais longuement, m'imprégnais des détails, des subtilités que j'allais essayer de représenter. J'hochais la tête et le reposait, puis attendais un instant. Je saisissais la clope de Jules et tirait dessus, puis la reposait dans le cendrier en souriant.

- Va falloir que t'enlève ton haut. Et, heu, tout hein. T'en fais pas, je me foirerai pas.

hey, you.

Tu fais semblant de ne pas avoir entendu sa question, promenant ton regard sur la pièce. T'étais mal placé pour juger, t'avais vécu dans la rue, le bordel te faisait plus peur. T'hoches légèrement la tête, tu sais même pas si c'est perceptible, quand il te dit que ça va être douloureux. Oui, tu savais que les côtes était un des endroits les plus douloureux, mais ça tu t'en préoccupes pas, tu voulais juste qu'il ne soit pas visible par tout le monde. T'expires lentement la fumée de ta cigarette, le regardant droit dans les yeux. Tu t'installes dans le canapé et tu ris jaune quand il te dit qu'il faut tout enlever. Tu le laisses te piquer ta clope.

Profiteur.

Tu passes quand même un bras dans ton dos et défait d'une main habile l'attache de ton soutif. Tu le poses sur tes genoux tandis que tu caches ta poitrine avec ton bras. Tu le regardes, lui faisant comprendre que si tu devais l'enlever il s'en prendrait clairement une.

T'as pas intérêt. Mais j'ai confiance en toi.

T'avoue ça d'une voie basse, si t'étais là, c'était pas parce que c'était le glandu du coin, à moitié défoncé qui te l'avait conseillé. Tu savais pas comment expliquer ça, mais tu sentais que tu pouvais lui confier un bout de toi sans le regretter plus tard. Tu passes tes cheveux de l'autre coté, tu récupères aussi ta clope de l'autre main. Tu détournes légèrement les yeux en inspirant profondément, te calant un peu plus dans le canapé, tu te décides enfin à répondre à sa première question.

Liberté. Ça veut juste dire liberté.

Il a pas besoin d'en savoir, et toi t'as pas non plus besoin de lui dire à quel ça compte pour toi. Alors tu fermes les yeux et tu le laisses exercer sa magie.

hey, you.

Tu soupira et détourna le regard pendant que Jules se changeait. Cette pudeur avait le don de t'exaspérer, mais tu la laissais faire, silencieux. Tes doigts se posèrent à nouveau sur le petit papier orné de cette belle inscription. " Liberté. " Ce mot était lourd de sens, et il devait sûrement en dire long pour elle. Mais tu ne posa pas plus de questions, et t'installa confortablement à côté de Jules. Ta main froide se posa sur sa peau qui te parut brûlante, et un frisson parcourut le long de ton bras. Tes yeux s'immobilisèrent sur ce bout de peau, et ces trois secondes de silence furent une éternité. Tu laissais tes pensées s'échapper un instant, et tes doigts se fermèrent sur le stylo. Tu regardais à nouveau la première lettre du mot, et en traçait les contours. Pour la seconde, le bras de Jules était trop rapproché, et cela t'empêchait d'écrire. Tu plissais les yeux et grommela ;

- Enlève ton bras, j'peux rien faire. Je vais pas te violer, si ça peut te rassurer.

Tu esquissa un petit sourire en coin, et traça les contours des trois lettres suivantes. Ta tête s'inclina, et tu comparas avec le papier, satisfait. Tu attrapais alors l'aiguille imbibée d'encre, et tu commençais le vrai travail. Au bout d'une heure, tes yeux s'était embués, mais c'était fini. Enfin. Tu te leva et fit craquer tes articulations, le regard inconsciemment posé sur la poitrine de Jules. Tu secouais la tête et la regarda calmement.

- Voilà. Tu peux aller voir.

Tu lui sourit et passa une main dans tes cheveux, curieux de savoir ce qu'elle allait en penser. Tu l'accompagnais devant le miroir, attendant sa réaction, et l'espérant positive. Ce n'était jamais simple, même pour un mot, si court soit-il. Mais à chaque fois, cette sensation, cette relation entre l'aiguille et la peau t'émerveillait. Elle t'avait charmé la première fois, et tu avais appris à la maîtriser au fil du temps. Aujourd'hui, elle s'était immiscée en toi, et tu savais qu'elle ne te quitterait pas.

hey, you.

Tu crispes le poing, essayant vainement de te détendre. Tu fais ce qu'il te dit, sans résistance. La dernière chose dont tu te rappelles avant de ferme les yeux, c'est son sourire en coin. Tu laisses alors seulement ton esprit divaguer et emmener la douleur au loin. Pendant l'heure qui passe, t'as du t'assoupir une ou deux fois. T'étais bloqué dans cette phase entre le rêve ou la réalité, ça te plaisait, t'as jamais été aussi détendue. Ce qui te réveille, ce sont les craquements provenant de ses doigts, t'ouvres un œil anxieux. Tu te mets tranquillement sur le bord du canapé, prenant appui sur son épaule pour te relever. T'hoches imperceptiblement la tête, en regardant dans le mirroir.

C'est magnifique.

C'était parfait. Tu pouvais pas espérer mieux. T'oses pas encore toucher ces lettres noires encore douloureuses. Mais ton regard ne s'en lassait absolument pas. Tu fais attention à tes mouvements en allant chercher ton t-shirt, tu l'enfilais sans ton soutien gorge, voulant éviter tout frottement.

Merci.

Tu te glisses près de lui doucement près de lui, te mettant sur la pointe des pieds, tu lui poses un léger baiser au coin des lèvres. Ta manière à toi de le remercier vraiment.

On se recroisera peut-être.

Tu le regardes un dernière fois, inscrivant son sourire dans ta mémoire, un léger clin d’œil t'échappes avant de passer la porte.