La nuit et ses bruits sourds te pèsent sur la poitrine, tu te planques un peu plus sous ta couette. Des pas sur le parquet grinçant te tirent brutalement de la solitude. C'est Cèz, les mains dans les poches. Amoché, la démarche mal-assurée, un peu assomé. Il a des bleus et des étoiles sur la peau. Il a explosé. Les lèvres cassées, une plaie sur la joue. Il pisse l'hémoglobine, la violence court sur sa peau et toi, tu le regardes avec tes yeux d'enfant. T'as toujours eu peur des bêtes blessées, mais cette fois c'est différent. Peu importe si tu te fais mordre, faut que tu t'approches. Le fauve en cage, peut-être bien qu'il se bat contre lui même. Tu commences à le connaître, tu sais que le mal lui colle à la peau. Tu sais aussi que c'est pas sa faute, tout ça, du moins t'essaies d'y croire. Tout lui tombe dessus, son monde s'écroule. Ça se voit dans son regard et aussi à ses cernes, ça se voit parce qu'il fume trop, boit trop, dort pas assez. Il mérite pas ça, le beau garçon. Personne ne mérite ça.

Il se tient au meuble, aussitôt tu accours, tu te glisses sous son épaule pour le soutenir. T'as pas envie qu'il tombe, Cèz. Encore moins qu'il sombre. Sûrement qu'il a mal partout, c'est ça de se battre comme des chats de gouttière. La violence, c'est pour ceux qui savent pas utiliser les mots, c'est pour les bêtes féroces. « bon sang.. » Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à se griffer les uns les autres? Qu'est-ce qui n'tourne pas rond? Tu le traînes jusqu'à sa chambre, tant bien que mal. T'as pas beaucoup de force, gamine, mais t'as de la jugeote, au moins. Pas de questions idiotes. Bien sûr que non, ça ne va pas. Évidemment qu'il s'est battu. Tu le laisses simplement retomber sur son lit, essayant de le retenir pour lui épargner un peu de douleur. Les paupières qui se serrent, le gémissement étouffé. Tu prends la fuite, commençant ton rôle d'infirmière. Tu fouilles un peu partout, lui ramenant une bouteille de whisky, un verre, de la glace et de quoi nettoyer ses blessures, ce que tu t’attèles alors à faire minutieusement, à l'aide de coton humide. Tu commences par guérir les plaies, mais il y a d'autres maux que tu as l'intention de soigner. Enfin, t'essayeras, s'il est d'accord.

Tu prends sa main, tout en douceur, jouant avec ses doigts, le regardant de ton air bienveillant. Tu peux pas t'en empêcher, toi le concentré de tendresse, remarquant aussi qu'il a les jointures toutes abîmées, le sale gosse. « tu devrais pas user de tes poings à tout bout de champ, comme ça. j'te jure. »

On pourrait te suivre, le diable pourrait venir toquer à ta porte et t'emporter pour ce que t'as fais. T'as laissée une trace derrière toi, une traînée de sang. Lèvres déchirées, poings en sang, la brûlure dans tes poumons. Ça aurait pu être pire, t'aurais même aimé que ce soit pire je suis sûr.    
T'as la peau constellée d'étoiles, une carte du ciel gravée qui a intérêt à vite se barrer avant qu'une autre prenne sa place. T'as la vue qui se brouille. Tu tangues. Tu te rattrapes au premier devant toi. On dirait un bateau qui est entrain de couler. Le titanic qui vient d'heurter l'iceberg. Tu penses pouvoir nager, mais t'as plus de force. Tu coules. Il y a une épaule qui te soutient, qui te remontes à la surface. T'aperçois un rayon de lumière, tes yeux s'ouvrent de nouveau. T'as des taches de rousseur dans le champ de vision, et des cheveux de feu qui viennent te chatouiller la joue. Elle est douce la flamme. T'aimerais la repousser loin, ton ancre, t'aurais mille fois préféré te laisser sombrer. T'as plus la force de te battre, le noir qui te noie te semble beaucoup trop accueillant pour refuser son hospitalité. T'éloignes la tête de la sienne, tu veux pas que ton sang se mêle aux flammes. La lumière se fait plus présente, pourquoi hein ? Mais t'as plus le choix, tu te laisses bercer par ses pas, à Louve. Une main sur les côtes, l'autre sur ses épaules, tu te traînes jusqu’à ton lit. Tu laisses échapper un grognement. Un grognement de louveteau, qui sort plus comme un gémissement. Une voix dans ta tête te supplie de vider la bouteille d'un coup. Tu la regardes avec dédain, quand tu sens ta main se lever avec la douceur d'un nuage. Les jointures défoncées, c'est ce qu'elle te reproche. c'est les seuls qui savent se faire respecter. Ta voix elle accroche, elle est rauque, elle fait peur. T'as la gorge sèche, les côtes qui t'envoies un couteau dans les poumons à chaque putain de bouffée d'air que t'es obligé de respirer pour survivre. Louve, arrête. Ta main se détache de tes côtes et vient attraper son poignet. Toute la violence t'as quittée, tu pourrais presque jurer qu'elle entrain de maintenir sa main toute seule et que c'est toi qui t'accroches à elle. pourquoi tu fais ça ? Ce n'est plus qu'un murmure qui sort de ta bouche, tes yeux qui viennent se plantés dans les siens, indécis. Des yeux rouges, le sang ayant surement remplacés le blanc de tes yeux. Tu dois faire peur, mais elle reste là, à te faire face. pourquoi tu m'aides ?

Son sang se déverse comme les larmes d'un chagrin d'amour. Goutte à goutte, il roule le long de tes cuisses, sur ta peau nue. Le vent de panique a arrêté de souffler mais tu as toujours la chair de poule avec ton short en soie et toi, tu le regardes, les yeux dans les yeux. Écrasée par le poids de son mal-être, le voir comme ça te fait mal au cœur. Surtout quand il ferme les yeux très fort, à cause de la douleur. Tu te sentirais presque coupable de ne pas pouvoir le soulager d'un claquement de doigt, d'une parole, de la même façon qu'il l'a fait lorsqu'il t'a dit tu peux dormir chez moi. Mais t'as pas de supers pouvoirs, tu disposes seulement de toi même, de ta voix de velours, de tes mots doux et rassurants. Tu sais bien que les bêtes sauvages n'aiment pas être en captivité, et rien qu'à la manière dont il te regarde, tu devines que tu l'étouffes déjà. « Louve, arrête. » Il attrape ton poignet et tu relâches doucement sa main. T'es une enfant docile, il suffit de deux mots pour que tu obéisses. Tu forces les gens à rien, tu t'imposes pas. T'es faite de plumes et de coton. « Pourquoi tu fais ça ?  »  

Un bref silence s'impose. Tu lèves la tête vers lui, plongeant ton regard dans le sien, dans ses yeux injectés de sang, qui quelques minutes plus tôt suppliaient l'éther de lui faire oublier les crèves-cœur qui ternissaient sa vie de leur noirceur.  « Pourquoi tu m'aides ? » Tu as un mouvement de recul un peu maladroit, t'as l'impression que ton aide n'est pas la bienvenue et pourtant c'est le juste retour des choses. « C'est dans ma nature d'aider les autres. » Tu parles d'une voix hésitante et ta conscience te répète inlassablement que ton aide n'est pas la bienvenue. Tu regardes ailleurs et la gêne t'empourpre, te forçant à te lever. « Tu m'héberges, je te dois bien ça. » Tu croises les bras, te refermant brutalement sur toi même. T'es un chaton en quête de caresses et ces phrases sonnant comme des reproches te font l'effet d'un coup de pied. « Désolée. » balbuties-tu en prenant la fuite. Petite idiote. T'es sûrement trop envahissante, il voulait peut-être pas de ton aide, Cèzanne. Tu lui as pas vraiment laissé le choix alors tu tentes de te rattraper tant bien que mal, laissant la porte entre-ouverte. « Si tu as besoin, je suis à côté. » C'est un dur, le jeune homme, il a besoin de personne, on dirait. Encore moins d'un pot de colle comme toi.

Elle recule, tu l'as fais fuir. Tu les fais toutes fuir. Encore plus celles avec un cœur de velours. Elle croit qu'elle a une dette envers toi. Elle se trompe. Elle te glisse entre les doigts sans que tu puisses la rattraper. c'est pas ... C'est pas ce que tu voulais dire. Tu voulais pas la faire fuir, juste la faire réagir. T'as pas l'habitude qu'on te soigne, plutôt qu'on t'arraches la peau. T'es un animal blessé, presque mort sur le bord de la route, personne ne se serait arrêter pour toi. Sauf elle. Tu peux pas la laisser filer. Pas alors qu'elle te met du baume au cœur avec ses plumes. Pas alors qu'elle contamine avec sa douceur. C'est peut-être pour ça que tu la laisses finalement partir sans la retenir. T'es pas fait pour devenir un agneau.
Tu te retiens pour pas grogner à chaque mouvement. Mais tu dois l'enlever cette putain de chemise. T'as du faire sauter un ou deux boutons dans la précipitation parce que tu les vois tomber à terre. Tu les vois au ralenti qui rebondissent, t'entends le souffle de Louve et le froissement des draps quand elle se glisse dessous. Tu vires ta veste et ta chemise le plus vite possible, sans un cri. Enfin tu crois. Ta bouche c'est ouverte, mais tes oreilles ont peut-être refusé d'entendre ce son. Tu cèdes devant la bouteille. Tu remplis ton verre de sky avec deux glaçons. Ils tintent au rythme de tes pas, quand tu te diriges vers le miroir de ta chambre. Déjà brisé en coin. Tu bouges plus, t'as peur d'aggraver les choses. C'est jaune, violet ou marron par endroit. Une tache de peinture flou qui s'est installée sur tes côtes. Une tâche qui te bouffe la peau et qui s'étale petit à petit. Les gouttes de sang qui coulent sur ta joue ou qui s’amassent sur ton torse ne sont que coupures et non plus d'importance. Ton verre t'échappe tes mains. La métaphore de ta vie finalement, qui a décidé qu'il fallait que tu lui cours après pour avoir une parcelle de contrôle. Le verre qui se brise, des centaines d'éclats prennent leurs envolent dans les airs, finissent par perdre leurs ailes et s'écraser au sol. Eux aussi sont piégés sur ce foutu monde.
Une ombre bouge. Elle se faufile derrière toi dans le plus grand silence. Une ombre rempli de flammes. Pas celles de l'enfer, rouge et menaçantes. Douce, accueillante, dans les tons d'un couché de soleil. Deux yeux aussi bleu que l’océan apparaissent derrière ton épaule. il y a du verre par terre. Tu la regardes d'un air lasse. Les ecchymoses te bouffent les poings également. On s'en fout. Tu t'en fou. Il y a du verre par terre. Elle peut se couper. Sauf que le seul sang qui doit couler ce soir c'est le tien. Tu sens son regard sur tes côtes, tu plaques ta main essayant d'en cacher le maximum. Lui épargner une vision d'horreur supplémentaire, même si elle en avait déjà assez vu pour faire des cauchemars. T'aimerais lui dire de partir, de pas rester là. Les mots restent bloquer dans ta gorge, le souffle te manque. Tu te rattrapes une nouvelle fois au meuble. T'aurais besoin des plumes de l'ange derrière toi pour panser tes poumons. T'aurais besoin de sa douceur et de sa lumière pour éloigner les ténèbres qui tournent à tes côtés.

Le cœur serré, tu fais un détour par la salle de bain pour rincer tes jambes et tes mains du poison que ses veines ont craché avant de retourner dans le canapé pour te blottir bien au chaud sous les couvertures. Tu as fait quelque chose de travers, faut croire. Tu regardes le plafond. T'as peur d'être un poids pour Cèzanne, tu t'embarquerais bien dans la première voiture qui passe au bas de la rue si ça pouvait lui faire plaisir. Ouais, c'est ça qui te fait flipper. Être un poids sur les épaules des autres de la même manière que tu es un poids pour ta famille depuis ton adolescence. Tu veux pas. T'as pas envie de gêner, ton seul désir c'est d'embellir la vie des autres au possible. Pas de les agacer comme t'as actuellement l'impression de le faire.

Dehors, le vent se déchaîne et tape contre les volets. Tu fermes les yeux quelques secondes mais ta curiosité est piquée à vif lorsque des fracas se font entendre de l'autre côté du mur. Tout de suite, un tas d'autres questions se bousculent dans ta tête. Tu te lèves, rejoignant la chambre à pas de chats pour passer ta tête à travers l’entre-bâillement de la porte. Tu vois son torse dans le miroir. Des dégradés de bleus, comme une aquarelle couchée sur le papier. Ce ne sont plus des étoiles. Ce sont des comètes, c'est la voie lactée. C'est toute la violence de son univers qui lui a filé dessus comme une météorite. Il essaye de cacher mais son bras sera jamais assez large pour couvrir tout cette misère organique qui couvre sa chair. Son regard croise le tien à travers le reflet du miroir. L'obscurité se mêle à tes yeux océans. «  Il y a du verre par terre. » Tu baisses les yeux et la première chose qui te traverse l'esprit, c'est que tu n'as pas la moindre idée d'où peu bien être le balai dans cette baraque, si au moins il y en a un. Mais de nouveau, tes réflexes prennent le dessus. Il faiblit, se rattrape tant bien que mal et te précipites derrière lui pour le retenir. Pas question qu'il tombe torse-nu dans les débris de verres et se les plante dans le dos, c'est déjà assez le bordel dans son épiderme. T'as avancé sans trop réfléchir, tu le tiens comme tu peux, collée à son dos. « Recouche-toi. » Une fois de plus, tu le guides vers le lit, tombant à la renverse à côté de lui avant d'éclater de rire nerveusement. Un rire qui s'échappe de tes lèvres sans que tu puisses le retenir alors que tu te plies en deux pour enlever le morceau de verre planté dans ton pied, à travers ta chaussette. Saleté. « C'est rien. » soupires-tu, sans pouvoir t'empêcher de regarder ses côtés hideuses. Elles ont dû en voir, des coups. C'est con d'abîmer de si belles choses. T'entends le vent dehors, il souffle si fort. Et là, d'un moment à un autre, c'est le blizzard qui s'abat contre les murs de la bâtisse, fait rugir les monstres de dehors et t'arraches un sursaut mal-dissimulé, refaisant de toi ce que t'as toujours été, une enfant effrayée.

T'essayes de te redresser sur les coudes, t'y arrive pendant une seconde. Une seconde où tu vois ces gouttes de sang perler sur son pied et imbiber sa chaussette d'un rouge mat. Tes bras te lâchent, tu retombes sans douceur sur le matelas. C'est la galaxie qui est venu s'écraser sur tes côtes. T'as pas l'envie qu'elle la regarde cette galaxie, personne n'est de taille à affronter ces mystères. Tu croises les bras, essayant de lui cacher une nouvelle fois. T'aurais pas du voir ça. Le vent rugit. Frappe les vitres de ses rafales. De long moment de silence avant qu'il ne reprenne sa danse. Un sursaut danse sur les épaules de Louve.

Tu peux plus rien faire. Presque. Tu peux encore l'empêcher d'avoir peur. De croire que ce vent cherche à entrer et à l'emporter. Alors tu as les doigts aussi délicat qu'une plume, une plume abîmée et teintée de rouge, et tu viens attraper sa main. t'as le corps défoncé, preuve que t'es incapable de protéger, simplement de détruire, que ce soit toi ou les autres." Tu les vois ces fissures qui crèvent tes poings ? Si tu peux pas éviter de te foutre dans la merde à chaque fois que tu sors, comment t'arriverais à la consoler ? Tu vas lui faire du mal. Comme à tous deux que tu approches. Une poupée de porcelaine en compagnie d'un blizzard. T'es resté là, tout ce temps à la regarder sans bouger. Pourquoi t'es incapable de la prendre dans tes bras là ? Pourquoi t'as peur de la rassurer ? Faut pas que tu es peur de la briser. Faut que tu es peur de ce qui se passera si t'es pas là pour la protéger. C'est un concentrée de douceur, de plume et de coton. Mais t'es comme ça toi. Un connard sans cœur, comme on te le rabâche à longueur de journée. Tu t'écartes brutalement, comme si tu avais été brûlé. Pourtant tu continues à la regarder dans les yeux, tu te tournes comme tu peux pour te mettre sur le côté. T'as pas à avoir peur. Ni de moi ni d'autre chose. Tu les vois ces milliers de tableau qui représentent anges et démon, noirceur et lumière, pureté et débauche ? Vous en formez un à ce moment là. L'ange qui essaye de sauver l'esprit du démon. Tandis que celui-ci finira simplement par le corrompre. T'as été contaminé par les esprits remplis de peinture qui polluent cette baraque. Je veux pas que tu te sentes obligé de rester. C'est pas ton cerveau qui a balancé ces mots. C'est ton cœur. Elle le contamine. Elle te contamine tout entier. Elle te bourre de plume et de douceur. Elle panse tes plaies. Mais tu restes ce que tu es n'est ce pas ? Tu la repousses, plus ou moins doucement. Avant que demain elle ne se rende qu'elle aurait du rester dans son lit, et te laisser passer, mort vivant.  

L'éclat de verre a pénétré ta chair, attaquant tes tissus nerveux au scalpel. Ça te rappelle ton enfance, quand t'avais marché sur une punaise et que Dylan te l'avait enlevée d'un coup sec pendant que Maxime te tenait fermement la bouche pour t'empêcher de crier. Voilà, ton enfance se résumaient à des péripéties en compagnie de tes deux têtes rousses préférées : tes sœurs. Papa et Maman étaient toujours absents, il ne fallait pas faire de bruits ni de bêtises. L'orage et les cauchemars, tu les affrontais seule, pas question de te glisser dans leur lit comme une enfant normale le ferait. C'est pour ça que la peur était restée, comme un traumatisme. C'est pour ça que dès que le vent souffle tu te caches, commençant à trembler. C'est pour ça que ta main dans la sienne t'offre un étrange réconfort. Tu te sens soudain en sécurité, mais pas pour longtemps. Bien vite il te relâche, et le vent recommence à souffler. Tu le sentirais presque effleurer ta peau, te glaçant le sang. « T'as pas à avoir peur. Ni de moi ni d'autre chose. » Il plonge dans l'océan de tes yeux, et toi dans la pénombre. Ce que tu vois là c'est un mélange d'obscure clarté, vos regards qui se croisent et s'entremêlent, reflets de vos esprits. Noir et blanc qui s'entrechoquent, tel le ying et le yang. « Je n'ai pas peur de toi. » Doucement, tu enlèves ta chaussette imbibée par l'encre de tes poèmes. Les grondements tempêtueux dehors te font valser mais tu continues à dissimuler ta peur tant bien que mal, mettant un pansement là où ça fait mal. « Je veux pas que tu te sentes obligé de rester. » Indésirable. Tu te sens indésirable. Mais t'as décidé de veiller sur lui, et cette fois, tu n'abandonneras pas. Tu esquives le problème, tu évites les morceaux de verres et tu t'assoies près de la fenêtre, t'éloignant de lui pour l'observer dans l'ombre. Tu trembles, ta voix est hésitante et tu préfères fuir la proximité cette fois, bien qu'à son contact tu te sentes rassurée. « Ce n'est pas le cas. Mais je vais finir par m'en aller si tu le désires. »

'Les yeux sont le reflet de l'âme.' Au vu de ce qu'elle te répond, tu n'es pas sûr que les tiens lui révèlent toutes tes vérités. Tu dois pas être difficile à cerner pourtant. Tu pues, la danger, la débauche et le sang a trois kilomètres à la ronde. Les ecchymoses qui courent sur ton corps ne sont là par hasard. T'as joué les crèves cœur. L'arracheur de peau. Incontrôlable et incontrôlé. Une gueule d'ange pour un esprit ravageur.
Et puis il y a cette putain d'hémoglobine, qui veux pas rester dans ses veines. Mais elle t'échappe avant que tu puisses l'aider. Tu l'as fait se sentir indésirable. Elle te fait sentir comme un pauvre animal blessé qui mord alors qu'on essaye de le panser.  
Tu dois traverser le lit pour y rejoindre le bord. La rejoindre Elle. Tu laissent échapper des bruits suspects. Des grognements plus animal qu'humain. Plus mort que vivant. Tes poumons t'insultent. Criant leur désespoir en te privant d'air. Tu peux pas aller plus loin. La volonté y est, mais les muscles ne te suivent plus. Ils t'ont abandonnés pour ce soir. Te délaissant sur le bord du lit, donnant surement l'impression à Louve, que ce n'était que la flemme qui t’empêchait de la rejoindre. Tu l'entends sa voix qui tremble, qui passe des graves au aigus. Des tonalités qu'elle ne devrait pas prendre. Des imperfections qui ne font que t'alarmer un peu plus. C'est toi qui me fuis là. Les genoux recroquevillés vers elle. Une enfant apeurée. Qui crois qu'elle est en sécurité alors qu'elle ne fait que se rapprocher du danger. La fenêtre. Mauvais plan. Le ciel éclate, laissant entrevoir ses gladiateurs dorés. Qui frappent sans répit. Ce n'est qu'une douce berceuse pour toi et surement un simple champ de bataille aux oreilles de Louve. Tu lui tend ta main ouverte. Je te lâcherai pas cette fois. Tu lui fait pas de promesse. Parce que c'est un miracle quand tu les tiens. Et tu veux pas la décevoir la flamme devant toi. Tu veux pas qu'elle se fasse souffler par le vent. Les cendres éteintes, la fumée qui en profite pour se casser.

Et ça souffle toujours plus fort derrière toi. Tu te crispes un peu plus. Face au vent qui rugit, tu n'as pas l'âme d'une courageuse. Planque-toi, vite. Cache toi avant que le vent ne te bouffe. D'une minute à l'autre, le tonnerre gronde lui aussi. « C'est toi qui me fuis là. » Ton regard est un appel à l'aide, mais tu refuses de le poser sur Cèzanne une fois de plus. « Désolée. » Tu vas attendre qu'il s'endorme bien sagement, veiller sur lui puis retrouver ce fidèle canapé et affronter les ombres. Seule, alors qu'une garde rapprochée semblerait tellement mieux. En plus, tu prends pas tellement de place. Tu roules en boule dans un coin, comme un chaton. Ça t'arrive de ronronner, certes, c'est ça, d'être serveuse. Commencer tôt, finir tard, rentrer dans la nuit noire, être crevée.

Il se redresse, laissant échapper une plainte témoignant de sa douleur. Tu n'imagines que trop bien sa brûlure. Phobique de l'orage, tu trembles comme une feuille et reste planquée dans ton coin, l'observant d'un œil bienveillant. Tu vois sa main se tendre vers toi, au ralenti. Grande ouverte, elle appelle la tienne. Tu ne sais pas trop. « Je te lâcherai pas cette fois. » Et tu finis par céder, tentée par ses mots. T'as envie de le croire. Tes doigts effleurent les siens. Ils s'entremêlent, tu glisses ta main chaude au creux de la sienne et il t'attire près de lui. Tu prends place à ses côtés, sur le lit, sans jamais lâcher sa main. Les éclairs te rendent sauvage, la pénombre n'arrange rien. Tu ne sais pas quoi dire, t'essaies de meubler le vide. «Tu devrais mettre de la glace sur tes côtes.»

Elle attrape enfin ta main, mêle ses doigts au tiens avec douceur. Tu l'attires vers toi avec une tendresse dont tu ne te croyais pas capable. Elle te réchauffe le cœur et le corps. Elle détourne ton attention, elle pense que ce qui se passe sur ta peau est plus important que les légers frissons de peur qui parcourent sa peau. Et te provoquent à chaque seconde. Je devrais te lâcher pour ça. C'est pas envisageable. Tu grimaces. T'as pas percuté que la constellation elle te fait regretter de ne pas être dans le ciel mais inscrite sur ta peau. Elle a honte d'être là, elle se débat, te déchire de l'intérieur pour mieux refaire surface et forcer le passage vers l'extérieur. Mais pour une fois dans ta vie, tu vas tenir une de tes promesses faîtes à demi-mot et ne pas la lâcher.
Essaye de ... La tempête qui gronde, faisant exprimer son mécontentement contre tes vitres. T'aurais du fermer les volets, tu regrettes. Ce n'est qu'une simple berceuse pour toi. Des notes de musiques qui te bercent, qui te font trouver le sommeil. Tes doigts parcourent sa joue, dégageant une mèche de cheveux qui lui barre le visage. Tu respires lentement, calant ton souffle sur le sien pour l'apaiser. Ce n'est pas comme si c'était naturel pour toi, rassurer quelqu'un. Tu les provoques les peurs, tu ne les guéris pas. Ferme les yeux. Concentres toi sur ce que tu ressens physiquement. Oublies les ombres et les flash qui zèbrent le ciel. Pense aux étoiles cachées derrière les nuages. Le soleil qui laisse place à la lune tous les soirs pour la laisser respirer. T'attrapes le bout de drap derrière elle et le ramène sur son corps, le remontant jusqu'à ses épaules. Tes doigts n'ont toujours pas quitté les siens et ton pouce caresse doucement le dos de sa main. Légère consolation. Une hésitation parait dans ta voix, bien que tu aurais voulu la gommer. T'as pas à avoir peur. je suis là. Et tu répètes encore plus bas. Je suis là.

Tu te laisses retomber sur le matelas moelleux et tu te retiens pour ne pas te boucher les oreilles, plantant ton regard dans le sien. T'écoutes ses mots, sa voix se faisant douce et agréable. Tu serres fort sa main pour ne pas trembler, mais tout est chamboulé. Ta respiration est irrégulière, ton cœur bat la chamade. Tu te concentre sur lui et uniquement lui, suivant docilement ses conseils. « Ferme les yeux. » Tes paupières tombent doucement et tu te retrouves plongée dans le noir. « Concentres toi sur ce que tu ressens physiquement. » T'essayes de savoir de quoi il s'agit, déjà, mais c'est plutôt étrange. Ce que tu ressens? En fait, t'en sais trop rien. Il y a la nervosité, à cause des éclairs là-haut, comme s'ils lâchaient des décharges dans ton système nerveux. Il y a la tendresse, cette affection nouvelle qui te rend toute chose. Et l'insécurité. Comme si t'étais à découvert, ici, sur ce lit. Comme si le ciel allait te tomber sur la tête. Et ce dernier aspect s'atténue légèrement lorsque Cèzanne rabat le drap sur vous. « Oublies les ombres et les flash qui zèbrent le ciel. Pense aux étoiles cachées derrière les nuages. Le soleil qui laisse place à la lune tous les soirs pour la laisser respirer. » T'essayes alors de voir le ciel de coton et les étoiles qui éclairent, cachés derrière. Ça, c'est facile pour toi. T'aimes tellement les observer, ces bougies qui flottent là-haut. Tu les connais par cœur, toutes ou presque. Leur position, les constellations qu'elles forment. « T'as pas à avoir peur. je suis là. » Et il te répète encore qu'il est là, tout bas. C'est assourdissant, et ça semble presque réel mais un coup tonnerre vient tout briser alors que t'étais presque calme. Le coup de tonnerre le plus bruyant que t'as jamais entendu de ta vie, comme si la foudre s'était abattue sur vous. T'as sursauté une fois de plus et dans un réflexe enfantin, tu as lâché sa main, venant brutalement te blottir contre lui. Tu te caches toute entière, passant un bras autour de sa cage thoracique abimée, planquant ton corps brûlant tout contre le sien. Sans doute appuies-tu là où ça fait mal, mais tu n'es définitivement plus en état d'y penser. Les rôles s'inversent lentement et t'as le souffle coupé.  « t'en es sûr? »

Ta voix se fait aussi douce que possible. Ce sont des plumes qui sortent de ta bouche. Contrastant avec les grondements sourds qui s'acharnent sur les volets. Tu la regardes faire, guidée par tes paroles. T'essayes de rendre tout ça agréable, t'essayes de bien faire. Tu remontes le drap un peu plus haut, le triturant comme si tu n'étais jamais satisfait, qu'il n'était jamais à la bonne place. Ça éclate encore. Trop près. Trop fort. Même toi tu sursautes, sans discrétion. Tu te maudis. T'as pas le temps de faire plus, parce qu'elle se rapproche brutalement. T'entourant de ses bras, avec force, portée par la peur. Elle appuie où ça fait mal. Elle fais pas gaffe. Tu tousses pour que le souffle te revienne. T'es presque sûr d'avoir craché du sang, vu la couleur bizarrement plus foncée de ta main. Mais tu t'en préoccupes pas. Tu l'essuies sur ton jean, pas sur les draps clair. T'es plus à une constellation près à présent. Et tu la sert un peu plus fort. En faisant attention à pas l'écraser, lui faire mal. Tu lui montres que t'es là et que tu la lâchera pas. Je l'ai jamais autant été. Tu réfléchis. Vous êtes trop près des fenêtres. Vous pouvez voir les ombres se créer sur les murs et le plafond. Enfin toi. Elle tant qu'elle garde ses paupières fermées, elle ne voit rien. Le grondement du tonnerre qui se répercute avec plus de force sur les fenêtres. Par contre, elle l'entend parfaitement. Tu fermes les yeux, posant un léger baiser sur son front. Louve, dis moi quoi faire. Je sais plus quoi faire. Si tu sais, mais ça voudrait dire la lâcher. La faire fuir encore et la laisser seule. Parce que tu seras incapable de l'accompagner. T'es incapable de bouger. Tu seras mieux dans le salon. Moins de bruit, moins d'ombres .. Fais ce qui te sembles le mieux.

Planqués dans votre nid de plumes, comme deux oisillons, resserrés l'un sous l'aile de l'autre. Tu gardes les yeux clos, tu restes dans la pénombre. T'as l'impression de jouer à cache-cache et d'attendre dans une vieille armoire qu'on daigne te trouver, mais aujourd'hui, il n'y pas l'odeur de la poussière, ni celle du bois; juste ce parfum nouveau, masculin, étrangement apaisant. Louve, dis moi quoi faire. Je sais plus quoi faire. Toi même tu n'as jamais su. Attendre était la seule solution quand penser à autre chose ne suffisait pas. Tu seras mieux dans le salon. Moins de bruit, moins d'ombres.. Fais ce qui te semble le mieux. Il n'y avait rien à faire, si ce n'est profiter encore de sa chaleur en attendant que l'orage ne se dissipe. Il ne tarderait pas. Il fallait juste que tu patientes un peu, ta peau brûlante contre la sienne, persuadée que son souffle chaud apaisait tes maux. Tu n'as pas répliqué, comme si avouer que tu étais mieux ici, près de lui, avait été un crime odieux, ou alors pour t'épargner des joues rouges pétantes. C'était une réponse sans en être une : ne rien dire, ne rien faire. Ne pas bouger. Après de longues minutes silencieuses, cachés sous les draps, la pression avait finit par descendre et les intempéries par se taire. Ton étreinte s'était faite moins brutale, incontrôlée car la fatigue avait eut raison de toi et plongeant dans le sommeil, ton corps s'était relâché. Tu pesais un peu moins sur lui, retombant sur le côté alors que ta main se détachait de son flanc, glissant sur son ventre alors que tu la ramenais près de ton cœur. T'étais enfin sereine, trouvant refuge dans ce terrain hostile, d'un les bras d'un fauve blessé qui menaçait de refermer ses griffes sur toi, à qui tu confiais ta peur en espérant qu'il la garde enfermée bien au fond de lui. Et c'était là toute ta naïveté, croire que peut-être, ici tu pourrais trouver ta place.