◮ Stay the night.

« T'as merdé. » Tu lâches au bout d'un long silence. T'as beau essayer de comprendre ce qui a bien pu passer dans la p'tite tête de ton cousin, tu y arrives pas. Debout sur les rails, à essayer de tenir en équilibre en vain, tu lui lances un regard lourd de sens et de reproches alors qu'il y a quelques minutes, vous rigoliez encore comme des gosses. Bien sûr que tu es au courant, tu as sans doute été la première à avoir été averti. Un simple sms. Tu n'avais pas réussi à le croire, persuadée que c'était une grosse barre ou à la limite une rumeur pourrie du barman. Mais non, c'était bien réel. Fizzy et Kyle n'étaient plus ensembles. Mais aucun détail, aucune explication. Tu avais du attendre un deuxième sms, de la part de Kyle pour qu'il te donne rendez-vous à la gare. La station était maintenant vide, à cette heure et plus aucun train ne passait. « Je sais pas ce qui me retient de te faire manger le gravier. » Tu soupires en remontant pour le rejoindre et t'assoir sur le rebord du quai. Bien sûr que oui, tu soutiendras toujours Kyle, peu importe la situation, peu importe ses conneries. Même s'il a tord à 100%, il reste ton cousin, ton frère, ton meilleur ami et tu te devais de le protéger toi aussi, mais sur le coup, t'avais du mal à le suivre, lui et ses plans tordus. « Qu'est-ce que t'as bien pu foutre à Ibiza pour qu'elle t'en veuille à ce point ? »

Conner est en train de se taper une meuf à l'étage, sans doute la plus facile de la ville. On était tranquillement installé sur la terrasse, à balancer des cailloux sur les poules qui étaient en train de couver quand on entend instinctivement le bruit de chaussures à talons qui claquent sur le bitume du quartier. En même temps, on se redresse pour regarder sur le trottoir et c'est en effet deux canons qui passent dans le coin. Habillées de cette façon, elles se rendent sans doute en boîte. Ou bien elles font le trottoir, difficile de faire la différence. C'est Conner qui a l'idée de les aborder, du haut de la terrasse. C'est sans doute la tâche la plus simple du monde, il suffit de deux-trois compliments pour qu'elles acceptent de rentrer à l'intérieur. Ma couille ma pouvoir tirer son coup, et il ne perd pas une seconde avant de l'attirer dans sa chambre. Du coup, je me retrouve coincé avec la deuxième qui m'allume comme c'est pas permis, sur le canapé. Je viens de me faire larguer par Fizzy après.. cinq mois de relation. C'est dur à dire mais je ne vais pas me taper cette inconnue. Du coup, je la laisse soudainement en plan, feintant un rendez-vous important. Aller, hop, un texto à Imo pour qu'elle me rejoigne à la gare, je dépose une casquette sur ma tête et je quitte les murs de cette maison qui tremblent.

J'avais au moins pensé qu'Imo allait me réconforter, me remonter le moral, m'encourager à aller de l'avant mais à la place, j'ai le droit à son silence. Et croyez-moi, il n'y a rien de pire que le silence de celle que je considère comme ma sœur. Son regard est lourd de sens, je n'ose même pas l'affronter et enchaîne clope sur clope, assis au rebord du quai jusqu'à ce que ce soit elle qui brise le silence. J'avais tout fait pour la faire rire, j'avais même épuisé mon stock de blagues à deux balles mais rien à faire. « Oh non, tu crois ? » Sans forcément le vouloir, je lui réponds avec sarcasme. Bien sûr qu'elle était au courant que je n'étais plus avec Fizzy. En sortant de la confrontation la plus étrange de ma vie, c'est à Imogen que j'ai envoyé un sms en premier juste pour la prévenir que c'était fini. Sans explications, rien du tout. J'avais décidé de jouer la carte du mec qui s'en branle totalement. Bref, je dois maintenant faire face à Imogen qui menace de me faire manger le gravier près des rails. « Viens. » Je ne sais même pas par quoi commencer, je me contente de la suivre du regard jusqu'à ce qu'elle se retrouve assise à mes côtés. Sa question tourne en boucle en tête quelques minutes avant que je me décide à lui répondre. « Quand je suis arrivé à Ibiza, elles étaient là. Chuck et Keeran. Et j'sais pas ce qu'il s'est passé mais mes vieux démons ont repris le dessus. Je suis sorti avec Chuck, puis avec Keeran, ces trois dernières semaines. Mais bon, elles se sont vite rendues compte que rien n'était sérieux, que j'étais pas venu pour trouver une meuf. »

Tu attrapes le paquet déposé entre vous, celui que tu lui as filé pour éviter qu'il se mette à chialer ou à vouloir se suicider à coups de yaourts périmés. Cigarette au bec, tu t'amuses avec ton zippo en attendant sa version des faits. Tu avais plus ou moins déjà entendu parler de cette histoire, les bruits courent tellement vite dans une ville pareille. « Et alors ? » "Rien n'était sérieux". Il ose préciser que "rien n'était sérieux". Le fait est qu'il avait quand même trompé sa copine pour deux "amourettes" de vacances qui n'en valaient même pas la peine. Si tu aurais été Fizzy, tu lui aurais foutu la tête dans le sable, coup de pied au cul et basta. « Non mais là je rigole même plus Kyle. Je vais être honnête avec toi, on va dire que toi et elle, vous êtes plus rien. Vous êtes plus colocs, vous êtes plus potes, vous êtes plus ensembles. Elle veut plus rien avec toi. » C'était la vérité. Il avait tout perdu, tout lui retombait dessus en pleine face. Lui qui avait fait tant d'efforts pour pouvoir se mettre avec elle, il avait tout gâché. « Tu l'as humilié, imbécile, elle disait à tout le monde que vous étiez ensembles : à ses amis, à sa famille. Et toi tu lui fais ça ? » Indirectement, elle avait "quitté" Castiel pour lui, elle avait du renoncer à Castiel, à sa promesse pour pouvoir se poser avec Kyle. Elle était sans doute la fille qui devait le mériter le moins au monde, toujours là pour lui quand ça ne va pas, à trainer avec toi, sa cousine, à l'appeler, lui envoyer des messages. En fait, il n'aurait pas du s'engager, il n'aurait même pas du poser ses yeux de mec tordu sur elle s'il avait prévu de rester le même connard.

Imogen me lance des regards de tueurs, et si ses yeux pouvaient lancer des éclairs, elle m'aurait foudroyé depuis longtemps. Cette meuf, c'est un peu la voix de la raison, de la sagesse. J'essaye de lui expliquer la situation pour qu'elle ne prenne pas parti, qu'elle ne me juge pas comme elle le fait d'habitude mais là, c'est différent. Elle m'incendie, me descend plus bas que terre. J'ai beau vouloir lui faire comprendre qu'Ibiza, c'était juste pour rigoler, juste pour le fun, qu'il n'y avait rien de sérieux, elle est toujours aussi remontée. Elle est sans doute l'une de mes meilleures amies et la voir comme ça, ça me fait trop chier. Comme à chaque fois qu'on me gueule dessus, je me mets à rigoler. C'est nerveux, mais je lui ris au nez. Du coup, je l'énerve encore plus et je risque probablement de m'en prendre une. Imogen n'a rien d'une fille douce, innocente, pure. C'est un putain de garçon manqué qui en rate pas une pour me frapper. « C'est bon, j'ai compris, elle me l'a déjà dit. Je l'ai perdu, je suis pas excusable et elle m'en voudra toute sa vie. » Je me mets à râler à mon tour, n'ayant pas envie d'entendre ce genre de paroles. Je l'avais pas appelé pour qu'elle m'enfonce encore plus ou qu'elle remue le couteau dans la plaie, j'avais eu ma dose de reproches pour l'année je crois. « Tu comprends pas. » Et personne ne semble comprendre ce qui a pu me passer par la tête.

Et là, c'est l'hécatombe. « Comment ça, je comprends pas ? » La situation est claire, c'est juste ce qu'il se passe dans la tête de Kyle qui reste problématique. Tu commences à réellement croire qu'un pauvre chimpanzé vit dans sa tête et joue des cymbales toute la journée, d'où son manque de maturité et du fait que son cerveau soit mis trop souvent en mode off. Tu lui as pourtant rappelé avant de partir, tu étais là quand il faisait ses valises, tu lui répétais sans cesse que Fizzy ne lui pardonnerait pas s'il se manque. « Mais tu l'aimes, ça j'en suis sûre Kyle. Le problème, c'est que t'es pas fidèle. T'es pas prêt à être fidèle, en fait. Honnêtement, t'aurais du lui dire dès le départ. Avant que vous vous "mettiez ensemble", soit-disant, parce que t'as du la tromper encore et encore. Maintenant, c'est fini, stop. » Fizzy est ton amie. Des potes, t'en as pas des masses et tout le monde le sait. Alors, cette petite poignée là, t'en prends soin comme s'il s'agissait de ta véritable famille. Forcément, t'as été très dure et tu sois encore endossée le rôle de mère qui te colle souvent à la peau à cause de lui.

Soit je ferme ma gueule, soit je me défends. Mais dans tout les cas, j'attise la colère de la grande prêtresse. S'il y avait bien une meuf que je craignais réellement sur cette terre, c'était elle, ma cousine. On aurait dit qu'elle était sur le point de muter et je commençais à réellement sentir sa rage montée. Elle allait vouloir me faire bouffer le gravier d'une minute à l'autre. « J'ai rien à dire, Imo. » Je prenais encore des risques mais je n'avais plus aucun argument. C'est pas comme si j'assumais pas tout ce que j'avais fait. Au contraire, j'avais été honnête du début à la fin, j'ai rien caché à personne et j'ai directement avoué mes fautes. Tout le monde pense que je me fous complètement de la situation, de Fizzy qui doit probablement être en train de pleurer et me haïr mais non. C'est juste que.. je ressens absolument plus rien. Une seule phrase tourne en boucle dans mon cerveau : je l'ai perdu. Et c'est trop tard. Trop tard pour me rendre compte que je l'aime, pour de vrai. Trop tard pour me rendre compte à quelle point elle est importe pour moi. « Je l'ai jamais trompé avant Ibiza, dis pas de conneries. » C'était au moins ça de bien, non ?

Kyle a rien à dire, encore une fois de plus. Si tes yeux pouvaient lancer des missiles à cet instant précis, il serait déjà mort depuis bien longtemps. En fait, t'as toujours supporté les conneries de Kyle, tu le suivais dans le moindre de ses plans foireux mais là il avait dépassé la limite. Vous vous êtes toujours dit que vos conneries s'arrêteraient le jour où quelqu'un serait vraiment blessé. C'est tombé sur Fizzy, la seule fille qui comptait réellement pour lui. Il l'aime. Vraiment cette fois, pas comme le reste des filles que tu peux compter sur son tableau de chasse. « Mais ouais, t'as rien à dire mais.. t'es con ou tu le fais exprès ? Tu savais qu'elle allait finir par le savoir. » La vérité finit toujours pas éclaté de toute façon. Il avait au moins eu les couilles de tout lui avouer en face, sans rien attendre, ça tu ne pouvais pas lui reprocher. « Et tu sais pourquoi t'as quand même agi comme ça ? Parce que tu croyais qu'elle allait encore être là, derrière toi, à t'attendre encore et encore. Sauf que maintenant, c'est terminé. » C'était ça le problème, il était enfin tombé sur une fille bien, sur quelqu'un qui serait toujours là pour lui et il en a joué, persuadé qu'elle lui pardonnerait à chaque fois le moindre de ses écarts. « Tu sais pas garder auprès de toi les gens que tu aimes vraiment, tu finis toujours par leur faire du mal, même si c'est pas volontaire. » Tu tires une dernière latte de ta cigarette puis tu balances le mégot d'une simple pichenette sur les rails et tu fixes les étoiles. Quel con.

Comme si ça devenait une habitude depuis quelques temps, je suis en train de subir ma vie. C'est sans doute la première fois que le retour de flammes que je reçois en pleine gueule est aussi fort. Les filles, je les collectionne depuis longtemps, je les trompe aussi depuis longtemps. En fait, ma réputation ne vient pas de nul part, je suis pas fidèle, je suis pas quelqu'un qui arrive à garder les gens que j'aime autour de moi. Imogen a raison, Fizzy a aussi raison. D'habitude, je suis jamais dans la merde. Parce que j'ai souvent tendance à ne pas me prendre la tête. C'est sans doute la première fois qu'une rupture me touche autant, que je suis dégoûté d'avoir perdu ma copine. J'aime Fizzy, c'est une fille en or, mais c'est surtout une fille que j'ai perdu. Toutes mes conneries me rattrapent et j'ai l'impression de devoir payer pour tout le mal que j'ai pu faire. « Putain, mais c'est que t'as raison en vrai. » Je lâche ça comme si Imogen était la voix de la raison qui m'éclairait soudainement et je ne peux m'empêcher de sourire discrètement en coin. « Toi, je t'aime. Et t'es la seule qui restera auprès de moi, et ça peu importe toutes les bêtises que je peux faire. » C'est vrai, au fond, je ne pouvais compter que sur elle. Mais d'un côté, j'essayais aussi de calmer cette tempête qui n'était pas prête de me laisser tranquille.

L'imbécile. Il venait tout juste de réaliser à quel point tu avais raison, à quel point il venait de tout perdre : Fizzy, son amour, son amitié, sa colocataire, tout. « J'ai toujours raison, crétin. » Ils n'allaient plus jamais se parler, rien ne serait plus comme avant. Une grande histoire venait tout bêtement de sombrer, le temps d'un court séjour cet été. Détruire tout ce qu'il avait enfin réussir à construire pour quoi au juste ? Pour deux nanas qui n'en valent pas du tout la peine, le genre de nanas que tu trouves à tout les coins de rue à Bristol. « Encore une fois, devant tout le monde, tu l'humilies.. » Tu secoues la tête d'un air blasé. C'est dans ce genre de moment que tu peux te montrer très dure avec lui, et il le sait. Tu es sans doute la seule qui resterait de son côté pour toujours - pour le coup, il a aussi raison. Mais t'es aussi celle qui peut le descendre plus bas que terre, t'es l'genre de pote qui est là sermonner après les trop grosses conneries, t'es pas celle qui dira que tout ira bien parce que c'est pas le cas. « Tout l'monde devait être au courant quand t'es revenu, tu sais ? Elle passait pour une conne quand elle t'a sauté dans les bras alors que quelques minutes plus tôt, t'embrassais encore une autre. T'es un enfoiré, Kyle. Elle était sur le point de rencontrer tes parents. »

Imo est blessante, elle est trop franche et si tout le monde pense que c'est sa principale qualité, j'ai juste l'impression que c'est un défaut chez elle. Elle n'a aucun filtre et dit sans réfléchir ce qu'elle pense. Elle sait que ça va me blesser ; en fait, elle seule peut savoir où me frapper pour être sûre que ça fasse mal. J'ai envie de lui hurler dans les oreilles de la fermer mais je me retiens, je voudrais pas m'en prendre une. Pas une seconde fois en deux jours. « Tu crois vraiment que je l'aurais laissé s'envoyer pour l'Australie à mon retour, après toutes les conneries que j'ai pu faire ? Non, Imo. Je l'aurais pas laissé, elle aurait pas pu les rencontrer. » De toute façon, jamais je lui aurais menti, jamais je ne lui aurais caché toutes les fautes que j'ai pu commettre. J'ai peut-être tout les défauts du monde mais je sais au moins que je suis honnête. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai pas attendu une minute pour tout avouer à Fizzy. Je pense qu'elle m'aurait littéralement coupé les couilles si elle l'aurait appris de la bouche de quelqu'un d'autre. Ou pire, dans un article du barman. « Je vais la récupérer. Que ça prenne des semaines, des mois ou même des années, je m'en fous. Un jour, tu verras, je la récupérerais. » Je lance un regard déterminé à Imogen en tapant du poing sur la murette. C'était une promesse que je faisais. À moi-même surtout. Mais je vais d'abord commencer par la laisser tranquille un long moment.