cool story, bro. (ORION)

Un de mes plus gros clients venait de m'quitter et j'me dépêchais de foutre la liasse de billets dans ma poche pour continuer mon chemin, l'air de rien. J'faisais toujours en sorte d'être discret pour pas m'faire choper quand mon p'tit trafic avait lieu. J'suis loin d'être con et j'savais exactement ce que ça pouvait m'apporter comme problèmes. La prison, un putain de drogué qui voudra se venger, des bagarres de rue, des règlements de compte. C'était certes de l'argent facile mais j'étais tout les jours exposé à plusieurs menaces extérieures. C'est pour ça que j'faisais ça le plus correctement possible. Ce job, j'en ai besoin. C'est pas mon p'tit chèque de photographe à la fin du mois qui va remplir mon frigo à chaque fois, les fins de période sont souvent difficiles. Papa a aussi besoin de cet argent pour rembourser ses dettes. Il pense que j'taffe de façon honnête, que j'suis toujours un mec bien. De toute façon, j'pouvais plus faire marche-arrière maintenant, la machine est lancée. Trop de choses dépendent de moi, et d'ma came. Les mains dans les poches, j'palpe les billets d'une main, et les p'tits sachets en plastique de l'autre, un sourire de branleur accroché aux lèvres. Le compte est bon, j'vais pouvoir rentrer à la maison, m'poser sur le canapé, fumer, fumer, fumer et pioncer jusqu'à ce soir. Sauf qu'au moment où j'relève les yeux, j'le perds automatiquement mon sourire. De l'autre côté d'la chaussée, c'est mon frangin qu'je vois. Orion. Le soldat. Putain, c'est quoi c'bordel ? Depuis quand il est à Bristol ? Changement de trajectoire, j'traverse comme un fou furieux, me jetant quasiment sur une voiture qui klaxonne comme une tarée, qui m'insulte et qui trace ensuite sa route. Mais là, maintenant, j'm'en branle, j'regarde juste mon ainé avec des gros yeux. « Putain Orion, qu'est ce tu fous là ? T'es pas censé être à l'armée ? Les vieux vont t'tueeer. » Et ensuite, j'm'attarde un peu plus sur sa tenue, sur son apparence. Il a la gueule du type qui a pas dormi d'puis trois jours, qui crève la dalle. « Tu sors d'où ? » Avec ta dégaine de clodo ? Mais ça j'évite d'lui demander, j'tiens quand même à ma vie un minimum.  

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orion & hadès

Il fait encore jour, plus pour très longtemps. Tu te balades un peu. Main dans les poches. Insensible au regard navré ou dégoûté des passants. Si ils en avaient vraiment quelque chose à foutre de vos vies, à vous, les vagabonds de la rue. Ils viendraient vous parler au lieu de se casser comme si vous aviez la peste. Tu fais plus gaffes à force. Pour toi c'est plus que des formes flous qui passent en te frôlant. Tu tournes la tête. Parce qu'il y en deux qui retiennent ton attention. Là-bas, de l'autre côté de la rue. Un deal. A c'te heure là ? Mais qu'est ce que c'est que ce bordel ? A ton frère. Attends quoi. Tu rembobines la scène. Mais si tu les as vu passé, les billets verts, presque au ralenti alors qu'il vont dans sa poche. Et c'est bien Hadès. T'sais Hadès. Celui qui foutait rien, qui réussissait tout. Ton frère. Que t'as pas vu depuis une éternité. Que t'as envie de sauter de joie. Mais en vous voyant, là tous les deux. C'pas les retrouvailles que t'attendaient. Lui en dealer, toi dans la rue. Le duo parfait. Vous échangez un regard. Rien qu'un. Et le voilà qui se précipite vers toi. Alors que toi t'as toujours pas bougé. « Putain Orion, qu'est ce tu fous là ? T'es pas censé être à l'armée ? Les vieux vont t'tueeer. » T'es complètement sur le cul. T'as envie lui demander. "Là ? En plein milieu d'la rue ?" Mais ça fait un peu con, alors tu te retiens. « Je pense qu'ils vont plutôt te foutre ta coke de merde dans le cul. » "Mais si je tafferais honnêtement plus tard." qu'il t'a affirmé avant que tu partes. La blague. Putain même pas capable d'être discret en plus. Dans une ruelle. En plein jour. Je sais pas tu fais ça le soir. Sous la lueur de la lune. Pas celle du soleil qu'est juste là pour illuminer les preuves. Tu te promets de lui donner des cours. Tu ranges ça dans un coin ta tête. « Un 'Bonjour. Oh miracle, t'es pas mort.' Ça te tuerais c'est ça ? » Tu gagnes du temps. Mais en vrai, il t'as manqué Hadès. Les liens de sang ça s'oublie pas. C'est gravé dans le marbre. Et t'as pas envie lui dire que t'as foiré et que t'as fini à la rue juste pour échapper aux parents. Alors t'aurais pu rentrer à la maison. Back home. T'aurais pu. Mais les pavés gris, les rues qui te paraissent familière. T'es libre. T'es chez toi. « Naaan, mais je voulais pas vous le dire. Mais j'ai gagné au loto. Ça c'est juste pour rester discret. » Tu lui dis en désignant ce qui te sers de tenue. Faut pas déconner non plus. T'aurais été friqué t'aurais réglé les problèmes de fric de tes vieux, offert la belle vie à ton frère, acheté une baraque de tous ce merdier que fous le gouvernement. « Sérieux. Tu peux utiliser le peu de neurones qu'il te reste deux minutes ? Paye moi un truc chaud. Qu'on rattrape les huit dernières années. »

crackle bones

Orion, l'fantôme du passé. C'était nous les enfants de l'avenir, qu'ils disaient, les adultes quand on était gosses. Aujourd'hui, on est plus que les silhouettes du présent. C'est qu'il a l'air abimé par la vie, le frangin. J'le dévisage un peu, les poings toujours enfoncés dans mes poches, à tapoter nerveusement mon porte-feuille bien trop rempli dans l'une, grâce aux petits sachets cachés dans l'autre. « T'oserais pas me balancer, enfoiré. » Quel duo. J'souris en coin. C'est vrai qu'ils me la foutraient dans l'cul, la coke, si les vieux l'apprenaient. Le gamin honnête. Parti à la dérive. « J'y touche pas à cette poudre. J'fais juste ça pour les thunes. » Je préfère préciser. Parce que j'suis pas ouf, j'touche pas à cette merde. Ça m'foutrait en l'air encore plus que je n'le suis déjà naturellement, à constamment vaciller entre la terre et les nuages. Aux deux pôles extrêmes. C'est toujours comme ça avec moi : c'est tout ou rien. Totalement clean ou complètement high. Excité comme une puce ou enfermé dans mon appart pendant des jours, dans l'noir, les volets fermés. Mauvais plan. J'y toucherais pas. Puis, j'ai toujours mon job à côté, il m'reste un minimum d'humanité. C'est juste qu'elle se cache derrière mes attitudes de branleur, de ma sale manie à enfoncer les gens, à les pousser alors qu'ils sont déjà au bord du gouffre. « Nan mais.. t'es juste la dernière personne que j'm'attendais à voir ici. » Un ange passe. J'sais pas trop comment réagir face à lui. C'est plus pareil. J'suis plus ce gamin qui passait ses journées à lui courir après pour pouvoir lui ressembler, à fumer en cachette pour faire l'grand, à essayer d'être assez cool pour trainer avec lui. Huit ans déjà. Il est pas mort, c'est déjà ça. « Pas mal comme technique, j'y aurais pas pensé. » J'souris, une fois de plus. C'est vrai qu'il a pas la gueule du porte-bonheur, ni la dégaine du mec qui inspire confiance. C'est là que j'me dis qu'il a du vivre des trucs moches. L'armée quand même, quelle idée.. Il a été l'architecte de sa propre destruction. « Aller, viens. » J'finis par lâcher, un peu trop enthousiaste. La joie des retrouvailles l'emporte vite sur la fatigue des fins de journées, sur l'envie de rejoindre les bras de Morphée. Alors j'tire mon aîné, je l'attire dans l'quartier que je connais comme ma poche. Mon terrain de jeu. J'le pousse au chaud, à l'intérieur d'un vieux café qui tient encore debout, miraculeusement. Près de la fenêtre, une jolie table, une vue imprenable sur les rues sombres de Bristol. Le bras levé, j'salue quelques habitués, deux trois serveuses que je connais, et on s'pose en attendant. « Laisse moi deviner. Bagarre ? Consommation de substances illicites ? » J'retire mes gants, et j'rigole après l'avoir bien regardé droit dans les yeux. Orion, il a toujours eu ce sourire, cette joie qu'il transmet à tout l'monde. Du coup, j'rigole encore plus. Ce rire un peu désespéré. Ce rire encore trop humain. Ce rire de détraquée qui dit "Putain, mais mec, moi j'suis encore en vie. Regardes-toi, regardes-toi. Regarde ce que t'es devenu, regarde comment t'es qu'un connard qui croit même plus en la vie." Parce qu'il a beau sourire comme moi, Orion, j'suis pas con. Il me la fera pas à moi. « Non, attends, j'ai mieux : vol d'hélico et tentative de fugue ? » J'imagine tout un tas de scénarios tout aussi improbables les uns les autres. « Dis moi tout. Fais moi un peu rêver. » Pendant que moi, j'étais coincé ici, à bêtement imaginer ce que tu pouvais faire chaque jours. Ces huit dernières années.  

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orion & hadès

N'empeche. Le voir, ça été l'effet de deux bonnes tartes dans la gueule. T'as l'impression de te réveiller après un long sommeil. La belle au bois dormant. Il te sort vite de tes pensées. « Me tente pas. » Un sourire en coin s'étale sur tes lèvres. Le même que le sien. Celui qui faisait la fierté de vos parents. Mais t'en fais pas Hadès, il le feras jamais Orion, te balancer. Après huit ans, il risquera pas de te vois disparaître en moins de deux jours et devoir te parler à travers une vitre. Parloir à la con. Non, tu te fais définitivement pas à l'idée de voir derrière les barreaux. « T'as intérêt sinon c'est moi qui me charge de te remettre les idées en place. Et j'te jure ça va être violent. » Manquerait plus qu'il y touche à cette merde. Il est déjà instable le gosse, autant pas le bousculer encore plus. « Comme ça on est deux. » En vérité. T'as jamais su où il était parti Hadès. T'es partis de la baraque avant lui, sans poser de question. La tête haute. Alors forcément, tomber sur lui, à l'autre bout de pays. C'est un peu comme tirer le ticket gagnant du loto. Dix fois de suite. M'voyez ?
Et quand il veut, c'est lui qui te contamine avec son bonheur envahissant. Mais ça fait du bien. De revoir l'espace d'un moment, la gueule du gosse joyeux qui a parsemé votre enfance avec ses sourires. Tu le suis sans opposer de résistance. Comme si t'allais dire non à un verre. Jamais de la vie. A peine entré tu demandes un truc chaud. N'importe quoi. Faut juste que ce soit chaud. Tu peux pas t'empêche de rire en entendant les suppositions d'Hadès. Mais tout, plutôt que de lui dire -montrer- la vérité. Il a pas à voir ça. Personne n'a à le voir. C'est moche. La haine et la violence pure étalées en grand dans ton dos. Et le pire c'est que le vol d'hélico c'est plus plausible. « Le rêve devra attendre bro. Truc médical, un souffle au cœur. Je sais pas trop ce qu'ils m'ont balancé. Et forcément à cause de cette merde de gouvernement. Pouf. Direct à la rue. Chômage. Et tu te démerdes. » T'as haussé le ton vers le milieu de la phrase. On se retourne vers toi. Y en a deux ou trois qui hochent vite la tête, commençant à débattre du sujet. D'autres qui préfèrent ne pas relever et continuer à s'enfiler vers sur verre, sans interrompre leur conversation. « Putain. Vive les remerciements pour avoir risqué ta vie. » Vraiment. Gouvernement à la con. Incapable de trouver une baraque pour les vétérans. Parce qu'on va pas se mentir, t'en a croiser en ville. Avec une histoire semblable à la tienne. Des récits de guerre autour d'un bidon en feu. T'en as vécu. T'en as raconté aussi. Tu sers ta tasse entre tes mains. A vue d’œil c'est du chocolat. Damn. Mais arrête d'emmerder à voix haute l'état et occupe toi de ton bro. « Parlons de toi. Plutôt. Le bro qu'a réussi sa vie. Illégal, mais même. Tant que tu te fais pas choper. T'as revu les parents ? T'es maqué ? T'as fait de la taule ? A ton tour de me faire rêver. »

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