(cleore) i need some lights, it’s way too dark.

Ton pied se pose sur le sol après les dix minutes de trajet à moto qui t'ont amené de chez toi à la poste. Tu t'étires pour finir de te réveiller. T'as du griller un ou deux stops au passage. Faut dire que t'étais pas tellement en avance. Tu prends le temps d'observer les gens autour de toi avant de sortir feuille et tabac. Pas de drogue de bons matins. T'as pris l'habitude de rouler ta clope en marchant. Il suffit juste d'un peu d’équilibre et d'adresse. Un exercice que t'as appris à faire parfaitement avec le temps. Une fois ton oeuvre finis tu l'allumes, la porte à tes lèvres. T'es tellement surpris parce qu'il se trouve sous tes yeux, que t'en oublies d'expirer la touche que t'a prise. T'es pris d'une quinte de toux, une fois la crise passée, tu t'approches légèrement, comme pour vérifier qu'elle est réelle. Elle. Cléore. Avec cinq ans de plus, mais c'est elle. Elle n'a presque plus rien de la gosse que t'as connu.  Un ange. Ton ange. Ta moitié. Celle que t'as laissé tomber comme lâche. Bien sûr t'as finis par le combler ce vide. T'as finis par le remplir avec toute cette haine, ce mépris et cette solitude. En portant une nouvelle fois ta clope à tes lèvres, tu te rends compte que tu trembles. Tu t'éclaircis la gorge pour être sur que ta voix ne tremblera pas, elle. Qu'est ce que tu fais là ? Tu sens une pointe de regret dans ta voix, de dégoût aussi peut-être. Pas contre elle, oh que non. T'en serais incapable, jamais elle ne fera quelque chose qui te dégoutteras. Plutôt contre toi. Tu fais du mal à tout ce qui t'approches, les années qui viennent de passer te l'ont prouvé. T'es pas devenu quelqu'un de bien, et t'es absolument sur, que tu ne redeviendras pas ce que tu étais. Tu lui jettes un regard désolé, t'as pas envie de lui faire de mal. T'as pas envie de la blesser de nouveau.

cinq ans plus tard
Cèzanne et Cleore

C'est avant que le soleil se lève que je suis sortie de l'hôtel où je dors depuis une semaine. Une semaine durant laquelle j'ai passé chaque seconde de chaque minute de chaque jour à ne penser qu'à lui, à puiser tout le courage qui peut se trouver en moi pour oser aller de l'avant. Après tout, c'est pour lui que j'ai tout plaqué, que j'ai quitté mes terres pour aller me perdre dans un inconnu qui ne m'est familier que par la langue. Pas un seul instant je n'ai eu de regrets. J'ai abandonné plus de mauvais souvenirs que de bons. Mais j'ai peur. Ces retrouvailles signent pour moi un nouveau départ. J'espère qu'il en vaut le voyage... Ce matin, j'ai laissé mon violon et mes affaires dans cette chambre d'hôtel, n'emmenant avec moi que mon corps pas assez bien et ces vieilles braises de l'amitié d'avant. J'ai cette lueur d'angoisse qui scintille plus que jamais au fond des yeux. Et si je m'étais trompée ? Et si ce n'était pas lui ? Et si ce n'est pas lui, que vais-je faire de cette vie sur laquelle j'avais fondé tant d'espoir ?Et si c'est lui... Va-t-il me reconnaître ? Que va-t-il penser de moi ? Est-ce qu'il va me rejeter ? Me prendre dans ses bras ? Est-ce qu'il ne va tout simplement pas se contenter de me dire bonjour et de s'en aller, parce qu'après tout, il m'a aussi abandonnée en larguant tout ce qu'il avait chez nous ?... Toutes ces questions s'emmêlent et font vaciller mon coeur tandis que je marche, les jambes tremblantes, jusqu'au bureau de poste de Bristol. Une fois arrivée, j'attends. J'ai le sentiment de rester là des heures, alors qu'en réalité, seulement un quart d'heure me sépare de son arrivée. Et quand il apparaît, là, au coin de la rue, sa cigarette entre les lèvres et son visage si important pour moi... Mon monde s'écroule. Le vide dans ma tête. Le coeur qui s'arrête. « Qu'est ce que tu fais là ? » comme si la réponse était des plus évidentes. Je reste immobile. La bouche entrouverte. Les deux mains accrochées et dégoulinantes de sueur. Les genoux se cognant presque dans un glagla d'émotions. « Cèzanne... » je murmure pour moi-même, pour me persuader que c'est bien lui. Parce que j'ai l'impression que son regard n'est plus le même. Et pourtant, c'est mon Cèzanne. C'est mon ami. « Imbécile. » je lui lâche en grec. Inévitablement, je sens les larmes me monter aux yeux. J'ai envie de lui sauter au cou, de l'embrasser, qu'il me serre contre son coeur et qu'il me dise que tout ça, il ne l'a pas fait à cause de moi. Qu'il comptait bien revenir. Qu'il allait m'écrire, ou qu'il l'avait fait, mais que les lettres n'étaient visiblement jamais arrivées à destination. Qu'il tenait encore à moi, ou qu'il y pensait de temps en temps... De manière égoïste, je me surprends à espérer que sa nouvelle vie ne lui plaît pas. Je fais un pas dans sa direction, les yeux humides et débordant de tellement de choses. Maintenant, je ne suis plus qu'à quelques centimètres de lui. Les questions se remettent à se bousculer dans ma tête. Malgré tout, j'arrive à trouver la force de décoller mes mains et d'en tendre une vers sa pommette. Pour l'effleurer du bout des doigts. Mon coeur qui semble renaître. J'ai retrouvé mon Cèzanne. J'ai retrouvé un grand frère.

T'es toujours entrain de te demander si elle est réelle, si elle vraiment là devant toi. Tu comprends pas tout de suite ce qu'elle te dit, avant que ça monte jusqu’à ton cerveau. Imbécile. qu'elle te sort en grec. Un mot qui sonne tellement doux, mais qui fait tellement mal sortant de sa bouche. T'es pas un lâche, mais quand elle s'avance vers toi à ce moment là, t'avais envie de fuir. Loin, très loin. Tu bouges pas, t'as l'impression que si tu fais un faux mouvement, une bombe explosera pas très loin. T'as quand même la force de retenir sa main en prenant la manche de sa veste, avant qu'elle effleure ta joue du bout du doigts. Bon faut avouer que c'est parce que t'as peur qu'elle t'en mette une. Mais aussi parce que tu sais que si elle te touche, tu fondras intérieurement comme neige au soleil. Tu parait tellement faible quand il s'agit d'elle. Et on va pas se mentir, tu l'est. Au fond, tu sais qu'elle t'as manqué. T'as envie de lui sauter dans les bras, de lui faire plein de bisous et de la faire tourner en l'air, comme tu le faisais si souvent. Tu ne peux t'empêcher de sourire en revivant ses moments. Surement les plus beaux moments de ta vie, t'en est conscient. Tu la lâches et tu laisses retomber son bras. Tu lui parles en grec, c'est plus simple, et t'aimes le faite que seul vous deux puissent comprendre ce que vous dîtes. Cleo je ... C'est flou dans ta tête, tu t’emmêles les pinceaux tu sais pas quoi dire, tu sais pas quel comportement adopté. Tu respires un grand coup, avant de sortir la plus grande bêtise que t'es jamais sortis de ta vie. Et t'en a sortis pas mal quand même. Tu sais quoi. Je te ramène à l’aéroport. Tout de suite. T'insistes sur les dernier mots, comme si ils pouvaient avoir plus d'impacts. Alors que tu sais qu'elle restera obstinément sur place avant d'avoir des explications. De toute manière, en quoi ça serait plus simple qu'elle parte ? Mais t'es trop stupide pour te rendre compte que c'est Le moment, où tu pourrais tout recommencer à zéro. Reprendre ton ancienne vie. Mais au lieu de ça, t'essayes de te montrer plus convaincant en détachant ton casque de moto et en lui tendant.

cinq ans plus tard
Cèzanne et Cleore

Tomber. Mes jambes manquent de flancher de nombreuses fois alors que mes doigts sont sur le point d'entrer en contact avec la peau de Cèzanne. J'en pleurerais. Je pleurs, d'ailleurs. Y a tout en moi qui pleure. Mon coeur, ma raison, mes sens, mais pas mes yeux. Je trouve pas encore la force de laisser couler une larme. Parce que j'ai l'impression que je rêve, peut-être ? Pourtant, je perçois bien la chaleur de son corps quand mes doigts s'apprêtent à l'effleurer. Un frisson d'angoisse me parcourt soudain le dos. Cèzanne saisit doucement ma manche. Je ne le toucherai pas. Arrêtée à quelques millimètres de son visage, ma main est figée dans un geste. Arrêt sur image. Mon regard se pose, incrédule, dans le sien. Je bois la tasse. Je vais m'y noyer. Le sourire qui apparaît sur ses lèvres en cet instant me ramène des années en arrière. Flashback. On est sur la plage, en plein soleil, j'observe calmement le large, rêvant de voyages et de découvertes. Cèzanne est allongé à côté, dans le sable, tandis que lui scrute le ciel. Mes cheveux dansent dans la brise chaude de Grèce. Et on sourit, comme ça. C'était la belle époque. Époque. Le mot semble convenir tristement. Mon bras retombe, minable, le long de mon flanc, quand Cèzanne le lâche. « Cleo, je... » commence-t-il. Parlons Grec. Ça sonne tellement plus personnel, plus sincère, naturel. Mais en même temps, ça paraît... Inquiétant. Je reste silencieuse, incapable de bouger, incapable de détourner mes yeux des siens, qui semblent éperdus. « Tu sais quoi. Je te ramène à l’aéroport. Tout de suite. » Non... Non, non, non, non, non. J'veux pas. J'peux pas. Pourquoi ? La panique me gagne. Mon coeur, secoué par l'émotion, se met à présent à se contracter sous des élans d'incompréhension. Non. Ça défile dans ma tête. Cèzanne détache son casque de moto pour me le tendre, mais j'veux pas. J'le prendrai pas, et je le lâcherais s'il me le collait de force dans les mains. Il a pas le droit. Il se rend pas compte. Même si j'avais plus aucune bonne raison de rester en Grèce, j'y avais encore mes repères. Et j'ai tout laissé tomber, j'ai dépassé la frontière pour ne plus faire marche arrière. J'les ai voulues, ces retrouvailles. J'en ai rêvé. Je les ai imaginées comme les plus parfaites, je les ai travaillées dans ma tête, j'ai fait tout ça pour sa gueule. J'ai foutu mes études en l'air pour venir jouer du violon dans la rue ici et gagner ma vie comme je peux, pour sa gueule. Pour vivre près de lui à Bristol, et pas ailleurs. J'suis arrivée comme une étrangère. J'veux pas repartir comme une étrangère. La Grèce, c'est plus chez moi, ça le sera plus. Si je pars maintenant, j'aurais plus de point d'ancrage, comme un navire à la dérive dans un vaste monde où tous les capitaines ont trouvé leur port... Pourquoi tu veux pas être mon port, Cèzanne ? Alors je secoue la tête. Non, je pars pas. Je reste. Et pour le lui faire comprendre, je recule d'un pas. J'hésite à le pousser aussi, mes mains veulent l'éloigner un peu, mais j'ose pas. Pas encore une fois. « Non... Je peux pas partir... » je rétorque. « Tu me forceras pas. » Une vague de révolte me renverse de l'intérieur. Il veut se débarrasser de moi ? C'est pour ça qu'il est parti, alors ? Je suis responsable de son départ ? Je peine à retenir mes larmes. L'une d'elle arrive à forcer le passage de mes paupières rougies par le chagrin et la colère. Elle glisse sur ma joue, marquant dans son sillage une lourde peine sur ma peau.

Ta clope glisse de tes doigts et s'écrase lourdement au sol. T'as pas le courage de la ramasser, tu la laisses à l'agonie sur le gravier. T'as compris que c'était foutu, qu'elle partirait pas, bien avant qu'elle recule. Elle te lance ce regard. Tu te souviens ? C'est celui qu'elle te jetait quand elle te défiait de la forcer à faire quelque chose. Et la plupart du temps t'y arrivais jamais. Ton bras retombe mollement, ton casque est entrain de s'échapper de tes doigts. Tu le poses par terre avant qu'il s'éclate sur le sol. Tu passes une main crisper sur ton visage, essayant de te détendre. T'aurais peut-être du récupérer ta clope. Ou t'avais peut-être juste besoin de quelque chose de plus fort. Tu ris jaune, si elle se doutait de ce que t'avais en tête en ce moment ... Mais tu comprends pas que je fais tout ça pour toi ? Je te laisse l'occasion de fuir, de te casser d'ici, de ce trou. Avant que tu te rendes compte à quel point j'ai changé. A quel point je suis mauvais pour toi. Avant que je te blesse réellement. Elle pourra pas te faire redevenir ce que t'étais, et ça vaut mieux qu'elle le comprenne maintenant. T'es perdu, t'es perdu, elle peut rien y faire. T'as pris soin de pas la toucher, pourtant quand tu vois une de ses larmes couler, c'est comme si elle t'en avais mit une. Tu sais que t'es allé trop loin, mais tu penses être allé trop loin pour faire marche arrière. On vous interrompt et votre bulle est rompu. Tu portes ton regard derrière Cléore, et tu vois un de tes collègues te montrer sa montre. T'avais complètement oublié le boulot, tu lui fais un signe du genre, oui oui, j'arrive. Tu te feras surement virer demain, mais t'as plus important à faire. T'as du mal à reformer votre bulle, tu te sens observer. Tu commences à faire les cent pas. Tu finis par t'adosser à un mur, le regard perdu dans le vague. T'aurais jamais du revenir. Surtout pas pour moi. T'essaye une nouvelle fois de lui faire comprendre qu'elle devrait partir. Tu fronces les sourcils, t'es partis dans l'idée qu'elle devait partir. Mais si c'était toi qui s'en allais ? Tu réfléchis à toute vitesse. Tu sais que ça serait plus simple, mais tu sais pas si t'es capable de la laisser en plan une nouvelle fois. Tu plantes ton regard dans le sien. Pour son bien, si. Finalement t'en étais capable.

cinq ans plus tard
Cèzanne et Cleore

Le seul bruit qui suit mes dernier mots est celui de sa cigarette qui s'écrase sur le sol. Cézanne n'a pas oublié la tête de mule que j'étais. J'imagine qu'il se serait bien passé de ce trait de caractère, en cet instant précis. En fait, j'irais même jusqu'à dire qu'il se serait passé de moi tout court. Cette pensée secoue mon estomac d'un sanglot, que je réprime en plaquant une main contre ma bouche. « Mais tu comprends pas que je fais tout ça pour toi ? Je te laisse l'occasion de fuir, de te casser d'ici, de ce trou. Avant que tu te rendes compte à quel point j'ai changé. A quel point je suis mauvais pour toi. Avant que je te blesse réellement. » Je le fixe, incrédule. Rien ne se passe comme prévu. Si seulement je pouvais fuir... Pour être honnête, je n'ai qu'une envie : tourner les talons et ne jamais revenir. Tout effacer, tout oublier. Faire preuve de lâcheté. Comme Cézanne. La différence avec lui, c'est que je l'aime trop pour m'en aller et tout foutre en l'air, pour gâcher la seule bonne décision que j'ai jamais prise dans ma vie pourrie. Parce qu'il est trop important.
Un de ses collègues le rappelle à l'ordre quant au travail qui l'attend. Je lui lance un regard oscillant entre haine et supplication désespérée. Pas maintenant. C'est pas le moment. "Sombre connard..." je pense à l'égard de ce collègue, ne pouvant rien faire d'autre que ça. Cézanne s'est adossé au mur du bâtiment. « T'aurais jamais du revenir. Surtout pas pour moi. »
Ok... Je fixe le garçon que je connaissais si bien, autrefois. C'était mon meilleur ami, mon pilier, un élément essentiel. Il avait ce sourire sincère, cette gentillesse qui empêche n'importe qui de le détester gratuitement, ce côté protecteur qui vous rassure, cette sensibilité à toute épreuve qui rend un homme plus attachant qu'un autre. Il était unique, ça oui. Où était ce Cézanne ? Il avait laissé la place à un total inconnu, presque méprisant. Je le prends comme une gifle. C'est impossible... Même cette salope de vie avait eu raison de Cézanne... Mais au lieu de comprendre et de me mettre à sa place, je ne sens que de la colère monter en moi. Je lui en veux à lui. C'est physique, mes mains se mettent à trembler sous un énervement qui ne fait qu'augmenter. J'essuie rageusement la larme qui termine sa course en bas de ma joue et celle qui commence à dégringoler sur l'autre. « Mais... Mais t'es vraiment qu'un gros con ! » J'explose malgré toutes mes tentatives de contenance. Je m'approche de lui, pointant un doigt accusateur juste sous son nez de gros con. « Tu te fous de ma gueule, c'est ça ? Cézanne, tu te rends pas compte ! Qu'est-ce que tu peux être idiot ! T'es au courant que j'ai traversé l'Europe pour toi ? Oui ! Pour toi, putain ! » Je reprends ma respiration en inspirant violemment de l'oxygène, tout en essayant de reprendre mon calme. « J'ai pas cessé de penser à toi, du premier jour où t'es parti jusqu'à aujourd'hui. T'es pas sorti de ma tête, jamais. Et t'en sortiras jamais, j'en suis profondément désolée... Je crois que tu réalises pas vraiment que t'es bourré de qualités, je veux pas croire que ce soit plus le cas. Quoi que tu fasses, et peu importe l'homme que t'es devenu, Cézanne... T'es la seule personne sur cette foutue Terre qui ai su m'aimer comme je t'aime. » Cette fois, je marque une pause plus longue, luttant comme une folle pour empêcher les larmes de couler sérieusement. Tout devient flou. « J'aurais au moins espéré que tout ça t'ai manqué un minimum pour en vouloir encore... » Je renifle un petit coup, essuyant mon nez d'un revers de la manche. J'ai conscience que ça puisse paraître carrément dégueulasse, mais j'en ai plus rien à foutre.

cinq ans plus tard
Cèzanne et Cleore

Elle comprend enfin. Elle te balance toute sa colère à la gueule. Toute celle retenue pendant cinq ans. T'observes l'agressivité dans ses yeux. Toutes ces années passées à ses côtés et jamais tu ne l'avais vu dans un tel état. Ces larmes s'envolent de ses yeux, pour battre des ailes sur ses joues. Un balai qui continue à danser sur son visage, alors qu'elle te crache son venin. Elle a traversé l'Europe. T'as fait la même chose pour la mettre à l'abri. C'est elle qui vient frôler le danger. « J'ai pas cessé de penser à toi, du premier jour où t'es parti jusqu'à aujourd'hui. T'es pas sorti de ma tête, jamais. Et t'en sortiras jamais, j'en suis profondément désolée... Je crois que tu réalises pas vraiment que t'es bourré de qualités, je veux pas croire que ce soit plus le cas. Quoi que tu fasses, et peu importe l'homme que t'es devenu, Cézanne... T'es la seule personne sur cette foutue Terre qui ai su m'aimer comme je t'aime. » Elle te pousse du doigts. Alors qu'elle essaye de reprendre son souffle. « J'aurais au moins espéré que tout ça t'ai manqué un minimum pour en vouloir encore... » Tu ris jaune. Ça y est, t'as craqué. Mais tu la laisseras pas dire de telle conneries. T'es un connard sans cœur peut-être. Mais pas avec elle. Tu l'as jamais été et tu le seras jamais. T'en as jamais été capable. Tu serais capable de tout pour elle, pour lui rendre le sourire. Si elle te demandais te sauter d'un pont tu le ferais. Parce qu'elle t'as aidé à survivre quand t'en avais besoin. Parce qu'elle a toujours été là. Parce quand tu la regardes dans les yeux tu sais que tu pourrais pas vivre sans elle. Tu serais capable de mourir pour elle, c'est aussi simple que ça. Tu te rapproches lentement, le regard dans le vague. « Je t'interdis de dire ça. T'as pas idée à quel point tout ça m'a manqué. Pas seulement la Grèce, et tout le bordel que j'y ai foutu. Mais toi. Putain tu sais pas à quel point tu m'as manqué Cléore. Du nombre de fois où t'as hanté mes pensées. » T'es assez près d'elle pour poser tes mains sur ses joues. Une larme vacille dans ses yeux avant de couler sur sa joue. Tu l'essuie avec ton pouce. « On est au moins d'accord sur une chose. Je t'ai toujours aimé et c'est toujours le cas. C'est pour ça que je te demande de partir. Loin de moi. » T'as l'impression que tu vas chialer toi aussi. T'as jamais pu balancer ça à quelqu'un. C'est elle qui te donne le courage de le faire. Tes lèvres effleurent son front. Elle te fout le coeur en vrac. Tu sais pas si tes sentiments ont franchis la limite de l'amitié ou non. Et tu dois bien avouer que c'est pas ce qui te préoccupes en ce moment. Mais une chose est sur, tu flipperas en le découvrant. « Sauf que j'ai changé. Je suis qu'un poison qui va te bouffer le cœur maintenant. Faut que tu te sauves avant qu'il soit trop tard. » Tu te recules légèrement. Ton regard redevient doux et protecteur. Tes mains toujours posées sur ses joues, comme si tu avais peur qu'elle tombe sur le bitum en les retirant. « Je t'en supplie. » Tu poses tes yeux dans les siens. Les montagnes et les nuages qui s'affrontent. Qui se partagent le ciel d'un commun accord. Mais tu la vois, cette détermination dans ses yeux. Celle que t'as toujours essayé de combattre sans arriver à la vaincre. C'est perdu d'avance. T'en es conscient. « Si tu le fais pas. C'est moi qui le fais. »

cinq ans plus tard
Cèzanne et Cleore

Je refuse toujours autant de croire au Cèzanne sans coeur qu'il prétend être. Et tandis que je renifle mon chagrin et refoule ma colère comme une enfant qui craque, je le laisse s'approcher doucement de moi. « Je t'interdis de dire ça. T'as pas idée à quel point tout ça m'a manqué. Pas seulement la Grèce, et tout le bordel que j'y ai foutu. Mais toi. Putain tu sais pas à quel point tu m'as manqué Cléore. Du nombre de fois où t'as hanté mes pensées. » C'est comme s'il remuait le couteau dans ma plaie béante. Je sais pas s'il peut dire ça, avec tout ce qu'il me fait. C'est pas juste... Pourquoi, alors ? Pourquoi ? Ma gorge se noue comme jamais, y a tout qui se serre. Mon coeur, mes dents, ma tête, mes poumons. J'implose, alors que j'aimerais éclater. Une larme, c'est la seule chose que j'arrive à expulser. Et alors, je sens les mains de Cèzanne emprisonner mon visage. Ses grandes mains sur mes joues. Ses mains chaudes. Son pouce qui essuie cette larme qui s'échappe vers la commissure de mes lèvres. « On est au moins d'accord sur une chose. Je t'ai toujours aimé et c'est toujours le cas. C'est pour ça que je te demande de partir. Loin de moi. » Je le hais. Je le hais. Il ne peut pas. Ses lèvres qui se posent sur mon front me font l'effet d'un flingue qu'on braquerait sur ma tête, menaçant. Même si son souffle dans mes cheveux m'enveloppe d'un frisson d'affection débordante. Un frisson de douleur. Ça fait si mal, quand le coeur se retourne. Cèzanne. Tu m'aimes de travers.« Sauf que j'ai changé. Je suis qu'un poison qui va te bouffer le cœur maintenant. Faut que tu te sauves avant qu'il soit trop tard. » On dirait qu'il me parle d'une bombe à retardement. Mais ça a déjà explosé. Ça a tout cassé. « Je t'en supplie. » J'avais fermé les yeux pour supporter ce moment. Et en les rouvrant, je ne peux m'empêcher de les plonger dans les siens. Une nouvelle larme roule sur ma joue tandis qu'une de mes deux mains se lève vers la sienne pour toucher ses doigts. Je peux pas accepter ce rejet. « Si tu le fais pas. C'est moi qui le fais. » Ok. Je le fixe toujours de ce regard lourd de reproches et en même temps débordant de cette amitié qui ne m'a jamais quitté. Et c'est toujours la même question : pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé, putain ? Pourquoi tu veux pas de ce bonheur d'avant que tu as l'occasion de retrouver ? Comment peux-tu refuser une nouvelle chance d'être heureux et d'oublier enfin ? Je suis trop bouleversée pour comprendre les choses et prendre du recul. Je ne ressens que de la déception et une profonde fureur. Il faut que je parte avant de lui coller une claque. Dans un geste lent, je laisse ma main retomber le long de mon corps et je refoule davantage ma peine, me forçant à trouver une froideur qui me donnera un semblant de contenance. Alors, je fais un pas en arrière, et sans daigner dire le moindre mot, je tourne les talons après un dernier regard vers lui. Je m'éloigne en marchant calmement, même si une fois que je lui ai tourné le dos, mon visage est littéralement inondé, trempé.