break the law. (SEVAN)

Vingt-trois heures trente, j'sais bien qu'il est l'heure que je me casse, que je rentre à la maison pour rejoindre la bande mais à la place, je m'obstine à squatter ce bar crado du quartier sud. Vous savez, c'est l'genre de bar que vous croisez qu'une fois dans vos vies, celui qui n'a jamais de clients, le bar mal réputé, celui qui tient quand même debout malgré tout. J'ai conscience que le quartier craint, que j'croise tout pleins de fachos dans l'coin, que c'est électrique par ici. Mais j'écris tout de même, avec l'reste de ceux qui sont appelés "les anarchistes", on traine ici et j'ai l'papier qui reste posé sur la table qui tient à peine sur ses pieds, j'le tâche parfois avec du café mais les mots sont là. Ils sont là pour faire du bruit, pour changer les choses. Parce que l'objectif reste le même : retrouver une liberté libre, pas contrôlée.

L'endroit est atypique, certes peu attirant, mais c'est un peu notre havre de paix. Le sang bouillonnant, on arrête plus, on pourrait presque penser qu'on tourne à la coke. Voir Sevan debout sur une table, en plein débat, à gueuler encore plus fort que les autres comme si ça allait lui donner raison, ça m'arrache un sourire. Je saute sur tabouret où j'étais installée pour venir le rejoindre, bousculant la plupart des gens personnes qui nous séparaient depuis le début de la soirée. Je m'approche de son oreille pour être sûre qu'il puisse m'entendre et j'lui colle carrément ma feuille à la gueule. « À la prochaine manif, j'ai trouvé ce qu'il nous faudrait exactement : des cocktails Molotov. » Ça va péter, ça va exploser. Tiens, en parlant d'exploser, c'est justement la porte d'entrée du petit pub qui vient de claquer dans un bruit sourd. Les murs ont presque tremblé. Un sourcil arqué, je me retourne, les crocs qui me démangent déjà, prête à bondir sur ceux qui ont osé troubler cette délicieuse ambiance. D'un œil mauvais, je vois débarquer une petite bande, masques sur le visage, l'air peu chaleureux.

La soirée aurait pu se finir comme toutes celles qu'on passe au bar, on aurait tous bu jusqu'à l'effondrement, jusqu'à perdre toute lucidité, on aurait gueulé jusqu'à ne plus avoir de voix, j'aurais pu foutre quelques baffes à Sevan qui aurait sans aucun doute répliquer histoire de faire croire aux autres qu'on peut pas s'piffrer. « Tu sais, il parait qu'les bourges refoulés ont toujours de bonnes idées. » La bourge refoulée, c'est moi, c'est l'surnom merdique qui m'colle à la peau à cause de cet emmerdeur à qui je m'accroche, à qui j'me colle d'un peu trop près. C'est justement cette proximité qui grillait complètement notre couverture auprès de tout les autres. Alors ouais, cette soirée aurait pu bien finir mais il a fallu que la bande de rigolos masqués nous coupe dans élan, qu'elle vienne tout gâcher. C'est l'silence qui s'installe juste après que la porte claque, ils espèrent nous faire trembler comme le font les murs qui menacent de céder sous cette violence. J'ai juste envie de leur rire au nez, j'ai aussi envie de les faire dégager mais Sevan est plus rapide, il s'en charge. Le silence bien vite brisé se transforme en une sorte de tension palpable, une ambiance électrique. Les deux camps face à face, hostiles, prêts à se sauter à la gorge en un rien de temps. C'est l'impression d'une bouteille de gaz dans la chemisée, prête à exploser à tout moment. Finalement, c'est le chef de leur petite bande qui se met à rire, il rit carrément à la gueule de Sevan après s'être tourné vers ses potes un instant. « Sevan.. » Comme un automatisme, un appel à l'aide, c'était comme si j'avais tiré sur la sonnette d'alarme. En fait, c'était sorti tout seul. J'lui lance un coup d'oeil, persuadé que ça va pas lui plaire cette histoire, d'ailleurs j'parie même que ça va dégénéré plus vite qu'on ne le pense. « Putain, c'est quoi votre problème ? » À mon tour, j'descends de la table au moment où l'un des mecs commence à bousculer nos camarades qui étaient posés vers le billard. La tension monte d'un cran. Puis boom, un verre explose contre un verre, puis un autre par terre. Un autre des types semble s'éclater avec sa batte de baseball, d'ailleurs il s'approche d'un peu trop près de Louve. De la douce. De notre petite protégée. Je serre les poings, fort, très fort. Tellement fort que mes mains se mettent à trembler. Ces gars là, c'était juste un appel à la violence, un appel au chaos. Ils vont goûter à nos coups de poings, oh oui, ils vont y goûter. « La touche pas, bordel ! » J'grogne, incapable de contenir ma rage plus longtemps et j'lui bondis dessus.