hoist the pirate flag ☩ jayson&avalon

hoist the pirate flag

Dans quel pétrin elle s’était mise. En y repensant, si elle avait su qu’en se rendant sur le compte de son père ce matin-là pour tenter de masquer la transaction bancaire qu’elle venait d’effectuer en son nom, avec sa carte, pour acheter une bête application utilitaire sur l’App Store qu’il aurait probablement accepté de lui payer si elle le lui avait demandé, elle découvrirait qu’un autre petit rigolo s’était amusé à lui soutirer une grosse somme d’argent (autre que les dix livres et quelques qu’avait coûté sa stupide application) en piratant sa carte bleue, elle ne se serait jamais à coup dûr jamais connecté sur la page de PC banking de son père. Elle n’aurait jamais su qu’on était tranquillement occupé à vider son compte, et lorsqu’il s’en serait rendu compte, ç’aurait sans doute été déjà trop tard, mais au moins, elle ne se serait pas embarquée dans cette chasse au trésor dans laquelle ce n’était pas le pirate qui se serait lancé à la recherche du butin, mais l’inverse.

Pourtant, ce matin-là, elle s’était bien connectée, et avait rapidement remarqué que quelque chose ne se déroulait pas tout à fait correctement. L’avoir du compte lui paraissait étrangement bas, mais dans l’historique ne figuraient aucune transaction justifiant ce trou dans le portefeuille de son paternel. Après avoir temporairement bloqué le compte de toute attaque extérieure, juste au cas où le pirate souhaitait venir se resservir impunément, elle avait creusé un peu, un peu beaucoup même, et s’était amusée (enfin, façon de parler) avec ça pendant plus d’une heure, d’abord à chercher à savoir s’il ne s’agissait pas simplement d’un problème informatique, puis ensuite, après avoir écarté cette éventualité, à tenter de trouver la faille, l’erreur qu’aurait pu commettre le petit rigolo qui jouait avec le compte comme si de rien n’était. En chipotant avec ce qu’elle savait faire en informatique, elle avait fini par mettre le doigt dessus, ou plutôt, sur la pointe émergée de l’iceberg ; un compte privé ouvert quelques temps plus tôt à l’étranger, qui l’avait ensuite permis de remonter jusqu’à un point-relais internet en Russie. Un leurre, bien évidemment.

Tous les jours, sans avertir son père de quoi que ce soit, elle s’était reconnectée, et avait suivi la trace du pirate, de relais en relais. Elle ne se préoccupait pas de l’argent, elle n’en avait rien à faire, elle voulait simplement le retrouver. Au fil des heures passées à jouer à cache-cache avec ce fantôme vraisemblablement génie de l’informatique, capable d’effacer ses traces à la perfection, de disparaître totalement de la surface de la terre, et de coincer Avalon des jours durant, l’empêchant de poursuivre ses recherches. Cependant, au bout d’environ deux ou trois semaines, elle avait fini par le retrouver (lui ou plutôt sa vraie adresse IP) presque juste à côté de chez elle. En contournant encore un certain nombre de pare-feu, elle avait réussi à envoyer un message à l’intéressé. Ilavait répondu. Et elle lui avait donné rendez-vous dans un petit bar près de chez eux, bien évidemment après lui avoir dit qu’elle ne souhaitait pas récupérer l’argent, se doutant qu’il était probablement déjà loin, et que s’il avait des problèmes, ce serait avec son père et non avec elle. Ce qu’elle ne lui avait pas dit, c’est qu’elle lui avait menti, à son paternel, et lui avait raconté que c’était elle qui avait tout dépensé, invoquant le financement de ses cours de pilotage. Elle ne savait pas pourquoi elle avait couvert le pirate, pourquoi elle ne l’avait dénoncé, pourquoi elle n’avait pas dit toute la vérité à son père, et pourquoi elle n’avait pas porté plainte. Peut-être parce qu’elle avait vu que, même s’il avait l’air plus âgé qu’elle, c’était qu’un gamin, le gosse, et que peut-être qu’il avait une raison de faire ça, raison qu’elle voulait connaître (auquel cas il faudrait quand même qu’elle soit très bonne). Le plus important, au final, c’était ça ; elle l’avait enfin eu, ce con.

Et maintenant, elle voulait le voir. Lui dire qu’il n’avait rien à craindre de son père, qu’elle s’était occupée de tout. Elle attendrait un merci, au moins. Elle l’attendrait ici, comme elle le lui avait dit pendant leur discussion, à dix-sept heures trente. Elle n’en avait pas l’habitude, mais elle était arrivée plus d’une demi-heure à l’avance. Elle ne savait pas se l’expliquer, mais elle voulait voir sa tête en vrai, voir s’il était aussi beau que sur son écran, chez elle. D’un autre côté, elle avait un peu peur de cette entrevue. Lorsqu’elle lui avait donné rendez-vous, elle n’avait pas pensé à une multitude de détails qui faisaient que désormais, elle appréhendait un peu. Tout d’abord, génie ou non,  c’était quand même un délinquant, et il pourrait être dangereux. Et s’il voulait l’éliminer ? Il n’avait pas une tête de méchant, mais quand même, on ne sait jamais, ce serait triste de finir comme ça, après avoir passé les trois dernières semaines de sa vie –et de ses vacances- à traquer un petit marrant qui aurait fini par la laisser pour morte dans une ruelle sombre et infestée de rats. Elle se demandait si quelqu’un pleurerait sa mort, en dehors de ses parents et de ses deux amis et demi.